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Frumette à cheveux longs et idées courtes
27 décembre 2020

Peut on dire que la logique est une forme d'épistémologie?

 

Hand Painted Installation By Yusuke Asai

Peut on dire que la logique est une forme d’épistémologie ?


Introduction

La logique et l'épistémologie ont en commun une même racine grecque, logos. Nous pouvons de manière introductive poser que la logique est une discipline s'occupant du raisonnement, et que l'épistémologie s'attelle à définir ce qu'est la science, son fonctionnement, et les méthodes employées pour produire des conclusions.
Au regard de la polysémie et de la complexité de chacun des termes de notre sujet, il nous semble primordial dans une partie préliminaire de les redéfinir, voire si besoin étant de limiter le domaine de certains d'entre eux, afin de reformuler notre question, les implications de celle-ci et ainsi d'assurer la clarté et la compréhension de notre étude.
Dans une seconde partie nous étudierons pourquoi certains penseurs, notamment les membres du Cercle de Vienne, étaient convaincus que le raisonnement déductif constituait une forme, et pour certains la forme par excellence, d'étude critique de la connaissance, normée dans sa totalité par la logique.
Dans une troisième partie qui constituera le cœur de notre essai, nous tenterons d'appuyer l'hypothèse, non exhaustive, que la logique en dépit de sa nécessité, ne peut pas être et nous insistons sur ce dernier terme; une forme d'épistémologie. Pour soutenir notre point de vue, seront abordées les limites de l'empirisme logique, mais aussi les limites de la raison face à celui-ci. Il sera question entre autres, de nombres imaginaires, de Kant et de tentative (ratée) de pratiquer l'ornithologie depuis notre bureau.
Enfin dans une dernière et brève partie, forts d'avoir considéré les limites des définitions et les frontières de chaque domaine de connaissance; nous nous demanderons alors ce qu'il nous est permis de considérer, ou de dire en faisant notamment la distinction entre méta langage et langage objet, en particulier en ce qui concerne le concept si ç'en est un, de vérité.



I) Première partie :
Définition des termes et reformulation de la question
Prise de conscience de la complexité polysémique

La logique est une discipline qui étudie la forme et la cohérence d'un discours. Elle vient du grec λόγος logos, qui signifie discours (qu'il soit parlé ou écrit), parole, étude. En philosophie en particulier platonicienne, le logos est considéré comme le concept abstrait du raisonnement rationnel. En rhétorique il constitue également l'un des trois piliers (avec le pathos et l'ethos), celui de la démonstration argumentée. On pourrait définir le logos comme un langage qui utilise les outils de la raison.
Logos fait également partie de l'étymologie du deuxième terme clé de notre question; épistémologie composée de logos et ἐπιστήμη epistémê, signifiant connaissance, savoir, en grec ancien. Epistémologie signifie donc littéralement "étude de la connaissance", et c'est d'ailleurs par l'étude de la connaissance générale que la philosophie anglosaxonne la définit. Cependant dans la tradition philosophique française (et c'est sur cette dernière que nous nous concentrerons), l'épistémologie restreint son domaine de d'étude à celui des sciences.
Or la science également est un terme polysémique qu'il convient de définir, afin non seulement de comprendre notre sujet d'étude, mais pour fixer les limites du champ de celle-ci.
Science vient du (latin scientia, de scire, savoir), et désigne un ensemble cohérent de connaissances relatives à certaines catégories de faits, d'objets ou de phénomènes obéissant à des lois et/ou vérifiés par les méthodes expérimentales.
D'après Michel Blay, directeur de recherche au CNRS, philosophe et historien des sciences, la science est « la connaissance claire et certaine de quelque chose, fondée soit sur des principes évidents et des démonstrations, soit sur des raisonnements expérimentaux, ou encore sur l'analyse des sociétés et des faits humains » .
Nous distinguerons trois grandes catégories de sciences : Les sciences formelles par exemple les mathématiques; les sciences dites factuelles telle que la biologie; et une sous catégorie des sciences factuelles, les sciences dites humaines, par exemple la sociologie.
Nous nous intéresserons moins à ces dernières mais nous les prendrons tout de même en compte, notamment lorsque nous ramènerons les opinions de Popper. La priorité de notre étude sera de nous concentrer sur les sciences factuelles, car ce sont elles qui constituent la majorité des disciplines scientifiques.
Nous définirons donc l'épistémologie comme l'étude des domaines de connaissance, fondés sur le raisonnement, l'analyse et l'expérimentation. L'épistémologie étudie les méthodes, les principes des connaissances scientifiques et ainsi en pose les normes.
En cherchant à savoir si la logique est une épistémologie, nous nous interrogeons ainsi : est ce que l'art du raisonnement dialectique peut référencer et poser les normes de l'étude critique des domaines de connaissances scientifiques?
Si oui, peut elle normer la science dans sa globalité ou seulement dans certains de ses domaines?
Et si la logique n'est pas une forme d'épistémologie, alors qu'est ce qu’elle est ? Une langue, un domaine scientifique à part, une grammaire, un art de pensée, (le seul valable scientifiquement) ?
La logique quelle qu'elle soit, est de toute manière indispensable à la science au point, qu'elle soit considérée par certains penseurs comme une, sinon la forme d'excellence de l'étude critique de la connaissance. En étudiant sa nécessité scientifique et la thèse contraire à la notre dans notre seconde partie, nous pourrons nous approcher de notre hypothèse de réponse.

 

II) Deuxième partie :


Ayant du faire un choix quant à une opinion à défendre; nous avons décidé d'appuyer la thèse selon laquelle la logique ne peut être une forme d'épistémologie. Néanmoins nous n'avons pas la prétention d'apporter une réponse exhaustive et finale à cette problématique, mais seulement notre opinion soutenue et argumentée.
Il nous semblait donc important dans cette partie de ramener, ne serait ce que de manière succincte et non exhaustive, les visions de penseurs défendant la thèse contraire, ainsi que ce qui les a conduit à adopter ce point de vue.

Aux débuts de la philosophie grecque, les sciences humaines et naturelles étaient liées (on parlait de philosophie naturelle pour désigner les sciences). Pour Platon et Aristote, il existe une structure logique du réel, et donc la logique parle de l’être (de ce qui est). Elle constitue la science (donc la connaissance) de ce qui est, avant qu’on le découpe en catégories par la pensée, comme celle de vivant (pour la biologie), ou de mouvement (pour la science), etc…
La logique est alors à la fois un discours sur le réel le plus global (du monde dans sa totalité), et un discours sur ce que doit être la science. Elle est ainsi une forme d'épistémologie, ou plutôt elle est l'essence même de l'épistémologie.
Il n'est pas possible de débattre de cette question, sans aborder les savants du membre du Cercle de Vienne dans la seconde décennie du 20ème siècle, qui se réunissent autour du manifeste titré "La conception scientifique du monde". Les penseurs de ce cercle fondent une philosophie de la connaissance appelée, (par ce que l'on aurait qualifié jusque là d'oxymore), l'empirisme logique (également appelé empirisme rationnel, positivisme logique, néo positivisme). Quelque soit son nom celui-ci suggère que le courant a pour ambition de réconcilier à la fois les faits (l'empirisme) et la raison (logique), et ainsi mettre fin à tout apport métaphysique dans le domaine scientifique. Ils s'appuient sur le Tractacus logico philocus de Wittgenstein, (personnalité atypique, celui-ci n'a pas voulu se joindre au Cercle), qui leur sert d'appui pour contrer tous les discours éthiques, esthétiques, idéologiques, spéculatifs qui sont jugés creux, vides ou confus et donc inutiles. En effet dans son Tractacus (préfacé par Russel !), Wittgenstein souhaitait légitimer uniquement ce qui, dans le langage a trait à une observation factuelle, (la seule valable de tout le reste en dehors des propositions linguistiques reliées entre elles par des éléments logistiques valides et cohérentes qui portent sur les faits tangibles, correspondant à la réalité factuelle); sur tout le reste, sur tout "ce dont on ne peut pas parler, il faut se taire".

Pour Husserl, "ce n'est pas tant ce que le scientifique croit qui le distingue que comment et pourquoi il le croit". Il fonde la phénoménologie qui consiste à "analyser l'acte de conscience où un phénomène (empirique donc) est donné, (livre "l'étonnement philosophique"). Il cherche un moyen de concilier à la fois l'universalité des catégories de l'entendement (la raison kantienne), et l'étude empirique des expériences vécues dans le réel.
Il reprend Bolzano, qui a défini la théorie de la science par "la collection de toutes les règles que nous devons suivre, si nous voulons faire un travail compétent, lorsque nous divisons le domaine total des vérités en sciences individuelles, et les présentons dans leurs traités respectifs". (TS, I, §1, 9; Bolzano en 1973 : 38)
Cette définition implique une suite de disciplines, (que l'on pourrait presque se permettre de qualifier de logique) de disciplines,, impliquées dans la construction d’une science, dont chacune se construit à partir de la science qui la précède; de manière linéaire un peu comme un arbre phylogénétique, ou de l'arbre cartésien de la connaissance, (n'oublions pas que Husserl publia "Les Méditations cartésiennes" ses conférences prononcées à la Sorbonne qui connurent un grand succès).
Dans sa Lettre-Préface aux Principes de la philosophie, Descartes (pour qui tout pouvait être analysé de manière rationnelle, on dira après lui, cartésienne), explique que pour lui la connaissance, qu'il s'agisse de philosophie ou de philosophie naturelle (c'est ainsi que les sciences étaient désignées jadis, en particulier aux temps des grecs antiques), "est comme un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc est la physique et les branches qui sortent de ce tronc sont toutes les autres sciences". Il s'agit en tout cas d'une analyse descendante, un raisonnement conduit à un autre, une science débouche sur la suivante qui nous rappelle l'approche de "top down", (nous développerons ceci dans une partie suivante).
Husserl et Bolzano eux-mêmes reprennent Leibnitz, pour qui la logique est considérée comme mathesis universalis, la logique est la théorie des théories, la première des sciences non pas une forme d'épistémologie mais sa forme par excellence.
Husserl conserve cette définition, mais ajoute qu’il faut décrire une logique de ce qui nous apparaît de manière empirique. Ce n’est plus une logique de l’Etre, mais du phénomène, par définition observable.



III) Troisième partie :
La logique n'est pas une forme d'épistémologie

Nous l'avons vu les membres du Cercle de Vienne considèrent la logique et les mathématiques comme des tautologies, c’est-à-dire une proposition toujours vraie, quelque soit la valeur de vérité de ses composants et les règles de calcul propositionnel. En logique on définira une tautologie comme « un énoncé de calcul des énoncés dont la valeur est V, quelles que soient les valeurs attribuées aux atomes qui y apparaissent », (il fait allusion aux tables de vérité), « Eléments de logique contemporaine" François Lepage (chapitre 3).
Nous défendons à l'instar des membres du Cercle de Vienne, l'idée que la science se doit d'être rationnelle. En revanche nous pensons que la rationalité scientifique ne peut pas être ni décrite ni expliquée de manière exhaustive par la logique formelle, quand bien même celle-ci eût été intégrée à un empirisme de l'origine et de la connaissance scientifique.


Les limites du logos

Kant

Nous citerons brièvement Kant qui souhaite délimiter la raison aux limites de l'empirisme pour mieux l'affirmer à l'intérieur de ses propres frontières. Kant ne considère pas la logique (la raison), comme une épistémologie mais comme la forme de notre entendement. La logique n'est pas un discours vrai quant au monde, (nous nous permettons de nous amuser de cette locution), mais un moyen de l'aborder.
Pour cela il va s'atteler à prouver que l'Idée du monde est supérieure au monde lui-même et, chose extraordinaire, par la raison à prouver les limites de celle-ci. il se réfère à des apories : les quatre antinomies de la raison pure, par lesquelles il va prouver rationnellement une chose et son contraire. On peut ainsi démontrer :
- Que le monde est fini mais aussi qu'il est infini (première antinomie).
- Qu'il est fait d'atomes (indivisibles) aussi bien qu'il est fait de manière divisible à l'infini (seconde antinomie).
- Que tout est déterminé aussi bien que le libre arbitre existe (troisième antinomie).
- Que tout est contingent aussi bien qu'il existe un être nécessaire (quatrième antinomie).
Kant arrive à prouver de manière logique que les deux propositions des deux premières apories sont fausses, et que les deux propositions des deux dernières apories sont toutes deux vraies. Etudions son raisonnement quant à la troisième antinomie. Si le monde est une somme de phénomènes, alors il est aussi un phénomène, régi aux lois physiques de causalité, donc il n'y a pas de libre arbitre, l'humain est déterminé. Mais si nous saisissons le monde comme Idée antérieure à l’expérience sensiblement, il échappe à la causalité et l'humain peut agir librement, (personne ne peut avoir une vision de l’idée du monde à postériori, c’est à dire de manière postérieure à l’expérience).
Les deux propositions, la thèse (la thèse toujours reliée à l'empirisme pour Kant), et l'anti thèse (reliée au dogmatisme de la rationalité que nous associons dans notre devoir à la logique), sont toutes deux vraies, aussi bien le déterminisme total (lié à la causalité physique que nous observons de manière empirique) que le libre arbitre lié à l'Idée du monde qui dépasse la réalité phénoménale de celui-ci. L'esprit « règle les choses sur les connaissances », ce qui renverse complètement l'approche de la compréhension humaine.
Le temps et l'espace nous les percevons avec les moyens que nous possédons, nous voyons des phénomènes et nous discernons donc le monde comme phénomène. « L'espace (et le temps) n'est pas un concept empirique, qui ait été tiré de l'expérience externe (…), écrit il, c'est une représentation nécessaire, à priori ». Ce que nous croyons être des propriétés de la nature, sont en fait des « formes » ou des « catégories » de notre pensée (donc qui tiennent de l'épistémologie). Vouloir les transposer hors du champ de l'expérience pour penser les limites de l'univers, révèle des « limites de la raison pure ».
On constate donc qu'avec la raison pure on peut affirmer une chose et son contraire, et on ne peut pas s'y fier de manière unilatérale, comme le pensait Descartes.


Les nombres imaginaires

Fort de cette démonstration qui détermine les frontières du raisonnement logique, nous tenterons modestement d'apporter un exemple, mathématique cette fois, soutenant les limites du logos, donc de la logique.
Les nombres réels sont des nombres qui peuvent être représentés par une partie dite entière, suivie d'une particule décimale finie ou infinie. (Remarquons au passage que les nombres dits "irrationnels", ne pouvant pas s'écrire sous forme fractionnelle, sont des nombres réels!) Dans le domaine des réels, un nom multiplié au carré est toujours positif dans sa valeur absolue, du fait que le négatif au carré est positif, tout comme le positif au carré. Or par un raisonnement logique ( qu’à notre grand soulagement, nous ne développerons pas ici n'étant pas le sujet de notre étude), la logique mathématique pure a créé une extension de l'ensemble des nombres réels, et qui définissent les nombres imaginaires purs, contenant en particulier un nombre imaginaire, noté i, tel que i2 = −1.
Ce qui est peut être démontrable par la logique pure mais qui est impossible dans le réel quand bien même il s’agit du champ mathématique du réel.
Ainsi la logique mathématique peut non seulement prouver une chose et son contraire, mais également prouver logiquement quelque chose qui ne n’est pas logique dans le fond, bien que la logique qui l’a démontré soit dans sa forme "pure".

 

Paradoxe de Hempel

Cela nous conduit au philosophe et logicien Carl Hempel, qui décrit un paradoxe à qui il donnera son nom, parfois appelé le "paradoxe de l'ornithologie en chambre". Il pose pour hypothèse la proposition conditionnelle que tous les corbeaux sont noirs.
"Pour tout être, si cet être est un corbeau, alors cet être est noir" :
p → q.
La contraposition de la proposition est : non-q → non-p.
"Pour tout être, si cet être n'est pas noir, alors cet être n'est pas un corbeau". En d'autres termes, tout ce qui n'est pas noir, n'est pas un corbeau.
Selon la loi de la contraposition logique, les deux propositions sont identiques et tout ce qui confirme l'une confirme l'autre. C’est-à-dire que tout ce qui est un être noir confirme que tous les corbeaux sont noirs. Me trouver face à un cheval gris, un cheval bleu ou une feuille blanche, me confirme logiquement que tous les corbeaux sont noirs! Non seulement nous constatons que la pure logique contredit la conception intuitive de la confirmation, (puisque les ornithologues n'ont selon toute logique, plus de raison de sortir de leur chambre d'étude pour pratiquer leur science) ; mais aussi nous arrivons à la seconde conclusion tenant de l'absurde, (dans le sens qualitatif du mot) que l'observation d'un chat rouge ou brun, peut nous confirmer que tous les corbeaux sont noirs, mais aussi par la même logique, que tous les corbeaux sont bleus ou gris…
A l'instar des nombres imaginaires purs qui ne font pas partie du domaine du réel, la démonstration ornithologique en chambre est dialectiquement « immaculée » mais elle est imaginaire, si éloignée du domaine réel, qu'elle peut prouver une chose et son contraire. Elle en devient ainsi irrationnelle dans le fond, malgré sa forme exacte, (à l’instar de la raison pure), mais par les paradoxes auxquels sa pureté conduit, se heurte à l'imperfection du réel. Alors que rappelons le, les nombres irrationnels (ne pouvant être sous la forme d'une fraction) font eux, bien partie du domaine du réel. Nous laissons à chacun et chacune la liberté de tirer (ou pas!) des méta conclusions de ce fait mathématique.


Les limites de l'empirisme (logique ou pas)

La thèse de Quine

Pour continuer à étudier l'ornithologie de notre chambre, puisqu'en « toute logique » il nous est possible de le faire, après le corbeau noir de Hempel, intéressons nous aux cygnes blancs de Quine. En 1051 ce logicien philosophe analytique américain, publie un article qui fera grand bruit "Les deux dogmes de l'empirisme", dans lequel il s'oppose aux conclusions du Cercle de Vienne.
Il souhaite démontrer qu'il n'est pas possible de prouver (par l'expérience cette fois), un fait empirique en apparence aussi simple que la couleur blanche d'un cygne.
Il s'agirait de déterminer ce qu'est un cygne, comment le faire et de même pour la couleur blanche (si c'en est une ?), de faire appel à un expert mais également comparer les résultats obtenus avec ceux d'autres spécialistes et de déterminer leurs nombres, ou encore de nous interroger sur leur qualité de spécialistes, et de leurs machines analysant les longueurs d'ondes. Nous pourrions ainsi continuer à l'infini d'établir une somme de présuppositions dont il est impossible de venir à bout, puisqu'elles soulèvent un système, un corp(u)s synthétique donc holiste, d'hypothèses implicites. C'est là le premier dogme de l'empirisme selon Quine, qui défend la thèse (aussi nommée "thèse Duhem/Quine", car le philosophe français Pierre Duhem avait fait une démonstration identique quelques décennies plus tôt), qu'une hypothèse isolée ne peut pas correspondre à un fait isolé. Celle-ci se doit d'être obligatoirement intégrée dans un corpus de connaissances, reliées entre elles et à une série d’expériences. Il s'oppose donc à l'élémentarisme du néo positivisme.
La seconde opposition quinienne à l'empirisme logique défendu par le Cercle de Vienne, concerne la différenciation entre, d'une part les vérités synthétiques (associer plusieurs parties pour former un nouveau tout, une nouvelle science), et d’autre part les vérités qualifiées d'analytiques, qui dissèquent le tout en la somme de ses parties.
Nous avons précédemment assimilé la logique comme une approche descendante (top down). Une analyse et dissection de la vérité par la raison du tout en la somme de ses parties, et où une science peut ainsi conduire logiquement vers une nouvelle science, (c'est entre autre la démarche cartésienne puis du Cercle de Vienne). Il ne reste alors que des tautologies puisque la logique a été intégrée dans l'empirisme.
Nous assimilons la seconde démarche plus holistique à une approche ascendante (bottom up), qui synthétise ce qu'elle observe de la vision d'ensemble, du tout qui se forme par la mise en commun de la somme de ses parties).
Pour les membres du Cercle, l'analyse et la logique se confondaient en des vérités logiques. Pour Quine, ces vérités dépendent aussi des faits, quelque soit la logique (par exemple la mécanique quantique* qui décrit empiriquement les phénomènes, peut prouver qu'une particule peut à la fois être et ne pas être, ce qui contredit la loi de non contradiction en logique formelle). C'est là le second dogme de l'empirisme pour Quine, et nous développerons davantage les nuances du principe de vérité auquel il est relié dans notre prochaine partie

(*Remarque. Descartes puis le siècle des Lumières pensaient comme on l’a vu expliquer le monde dans sa totalité en le réduisant à la somme de ses parties (isolationnisme ou réductionnisme de méthode). Ils ont conduit la science à passer d’une approche qualitative (et holistique ) à une approche quantitative à la fois de la Nature physique mais également de la physique elle-même (physique quantique)
.

Popper

Mais avant d’aborder notre troisième partie nous nous permettrons de relier Quine et Popper.
Pour Popper il n'y a pas de différence d'essence entre une théorie et une hypothèse, car il est impossible de vérifier empiriquement la fiabilité absolue d'une théorie. Cette dernière est donc pour Popper une hypothèse, qui n'a pas été réfutée par un contre exemple empirique. Pour pouvoir être rejetées, les théories scientifiques doivent être réfutées par l'expérience. Il suffit d'un seul contre-exemple pour contredire la véracité d'un énoncé (ce qu'il appelle le concept de falsisficationnisme).
En comparant le contenu de vérité au contenu de fausseté d'une théorie scientifique, il en vérifie la verisimilarité (approximation
vers la vérité). Pour Popper, une science qui se confirme d’elle-même n'est pas une science, (et les pseudo sciences cherchent dans l'empirisme ce qui peut confirmer la validité de leur théorie et … le trouvent ce qui est la preuve de leur légèreté ). Pour lui, une pseudo science peut intégrer des faits empiriques contradictoires. Il est particulièrement soupçonneux envers deux des trois "maîtres du soupçon" Marx et Freud. Ces derniers découvrent dans le réel uniquement des confirmations de leurs hypothèses. Ce qui constitue la preuve pour Popper que les théories psychanalytiques et marxistes sont pseudo scientifiques, qu’une théorie scientifique est falsifiable car il est possible qu'elle soit fausse, falsifiée par l'expérience. Pour Popper nous insistons sur ce point, nous devons non pas chercher à confirmer rationnellement une théorie, (car nous restons dans le champ de la logique), mais la confronter au réel, à tester sa falsifiabilité, par des contre-exemples factuels et non logiques.
Il est intéressant de constater que sa thèse ne concerne pas seulement la science, mais un concept dont Wittgenstein "refuserait de parler", le jugeant spéculatif, confus inutile de par son absence d'observation factuelle, la liberté au regard du libre arbitre. Popper ne récuse pas le principe de causalité en soi, au contraire. D'un point de vue purement rationnel l'humain n'est pas libre, car il est soumis à la causalité. Il démontre que le déterminisme « scientifique » se heurte toujours à ce qu'il décrit, comme le « principe de responsabilité renforcé se référant à la précision des mesures possibles à partir desquelles peuvent se calculer les conditions initiales, plutôt qu'à la précision des conditions initiales ». Mais comme il est impossible d'avoir une connaissance parfaite des mesures à partir desquelles calculer les conditions initiales d'un projet de prédiction, il est du même coup, impossible de rendre compte par avance de tout échec d'une prédiction d'un événement avec le degré de précision voulu. Ainsi, le « déterminisme scientifique » s'effondre non par échec de sa logique interne, mais parce que nous n'avons pas les moyens logistiques d'étudier les causes dans leur ensemble. Comme Quine l'affirme, un fait isolé n'est jamais isolé, il fait partie d'un corpus synthétique, et soulève une somme infinie de présuppositions.



(Tentative de) démonstration par le logos

Logos est l'unique racine du mot logique, elle constitue son essence même, sa fin et son moyen à la fois, alors qu'elle est l'une des deux, la seconde, racines du mot épistémologie. Pour ce dernier terme, le logos fait partie intégrante du mot épistémologie mais pas l'intégralité.
En langage mathématique nous poserions ainsi :
Logique = logos L = l
Epistémologie = épistèmê + logos E = e + l
Pour que la logique soit dans certains cas une forme d'épistémologie, c’est-à-dire pour que L dans un certain référentiel équivalent à E, il faudrait que :
E = L e + l = l
Or ce serait omettre toute valeur à épistèmê, à la connaissance en dehors de sa logique, il faudrait que :
e = 0 ou bien que l = e
Que logos et épistèmê (ou sophia en latin) soient synonymes, (car notons que si en grec ancien épistèmê signifie discours en latin, nous traduisons connaissance par sophia qui a donné le terme philosophie), c’est-à-dire que le discours et la connaissance soient synonymes, ce que nous réfutons.
Car si la logique peut être considérée comme une forme (nous insistons sur ce terme), de science (il s'agirait alors d'une science formelle uniquement), elle n'est pas pour autant une forme d'épistémologie, une étude critique des sciences formelles, encore moins des sciences non formelles.

 

 

 

IV) Quatrième partie :

Dans cette dernière partie nous aborderons la notion de vérité et du langage afin de nuancer notre point de vue.
En effet si la logique ne nous apparaît pas être une forme d'épistémologie, elle est indispensable à toute forme de science. Bien évidemment pour les sciences formelles, dont le raisonnement logique constitue l'essence même de la connaissance, mais également pour les sciences dites humaines comme nous le verrons bientôt.

La coexistence des paradoxes est préférable aux demi vérités

Nous avons précédemment comparé les approches ascendantes et descendantes (bottoom up et top down), notamment lors de notre étude du rejet quinien du dogmatisme empirique. Cette différence n'oppose pas d'un côté les sciences formelles à un extrême, et les sciences humaines à l'autre extrême. C'est une divergence de nature épistémologique qui concerne l'épistémologie elle-même, et qui peut donc s'aborder aussi bien, nous l'avons vu, dans le cadre des sciences exactes, que dans le cadre des sciences humaines. Nous prendrons l'exemple de la psychanalyse, née à Vienne au début du 20ème siècle également, dans un autre cercle viennois, les sessions du mercredi autour de Freud.
Lou Andréas Salomé, femme de lettres du 20ème siècle, est l'une des premières psychanalystes à garder une indépendance de pensée face au fondateur de la psychanalyse, bien qu'elle ait toujours été une disciple fidèle. Cette indépendance se caractérisait en son attrait pour la synthèse et le rapport "au Tout", alors que Freud défendait une méthode résolument analytique.
Elle mettait ses remarquables capacités d'analyse au service de la synthèse, alors que le psychanalyste lui, cherchait à disséquer les parties du Tout, et en particulier de sa nouvelle science. Lou Andréas Salomé définit et résout en quelque sorte leur opposition épistémologique, en les comparant dans sa "Lettre ouverte à Freud", aux deux faces d'un même tissu : "Dans un cas, c’est l’envers d’un tissu que l’on considère, l’œil s’attachant aux fils isolés (les atomes de vérité en logique), aux lignes qu’ils suivent, aux points où ils se nouent ; dans l’autre, c’est l’endroit du tissu, en s’attachant à l’impression qui se dégage (donc l'observation empirique) du motif d’ensemble (la connaissance)".
Nous remarquons que les deux faces de ce même tissu coexistent en gardant leur indépendance, elles s'opposent, sont nécessaires l'une à l'autre, mais ne se sont pas visibles en même temps, elles ne sont pas intégrées l'un dans l'autre (nous faisons ici allusion au Cercle de Vienne, qui avait pour but d'intégrer la logique dans l'empirisme). Nous voyons ou bien les points analytiques, la logique ou bien l'observation empirique, chacune présentant ses limites propres.

 

 

Langage et vérité

Lorsque l'on souhaite démontrer quelque chose il est essentiel de se pencher sur le concept de vérité.
Le philosophe et logicien polonais Tarski a fondé la conception sémantique de la vérité. Il distingue :
1) La vérité formelle, ce qui est vrai et qui peut être vérifié par la logique, le raisonnement abstrait, l'analyse et la méthode dite hypothétique déductive.
2) La vérité factuelle, ce qui est réel et qui peut être confirmé par l'expérience sensible, le phénomène, l'expérimentation dans le monde réel.
Nous pouvons aborder la vérité formelle par le langage objet qui sert à démontrer un certain nombre de propriétés, par exemple le calcul des prédicats, et nous abordons la vérité factuelle par le méta langage.
Par exemple, quand nous disons que P est un vrai cheval brun, il s'agit, un énoncé du méta langage. Un énoncé du langage objet ne peut jamais dire de lui-même s’il est vrai ou faux, sinon il se trouve dans un cercle auto révérenciel qui peut conduire à l'idéologie, (exemple : la Bible est vraie car c'est écrit dans la Bible) ou aux pseudo sciences. Mario Bunge écrivait non sans ironie, "dis moi quelle pseudo science tu admets et je te dirais ce que vaut ton épistémologie". Pour que le langage objet corresponde au langage formel, il faut qu'il y ait une vérité correspondance, que l'énoncé le cheval est gris corresponde à la réalité du cheval gris.
Mélanger langage formel et langage objet en utilisant à tort le terme vrai du fait de sa polysémie, peut conduire à ce que Tarski appelle des paradoxes sémantiques, où quelque chose est à la fois vrai et faux, (nous l'avons précédemment vu avec la physique quantique), dans le réel mais qui conduit à une absurdité formelle, puisque dans le langage formel rien ne peut être à la fois vrai et faux. (Kant avait d'ailleurs utilisé cet argument dans sa Critique de la raison pure, nous l'avons déjà abordé plus haut). Seule la réalité possède la capacité de faire cohabiter des paradoxes, telles les deux faces du même tissu, telles une illusion d''optique où deux interprétations visuelles du même dessin sont visibles mais jamais en même temps.



(Tentative de) démonstration rationelle

D'un point de vue du raisonnement, de la logique, la logique n'est pas une forme d'épistémologie, car il faudrait alors considérer l'énoncé "la logique est une forme d'épistémologie" comme une tautologie. Or nous avons étudié dans notre précédente partie, que cela n'est pas toujours vrai, que cet énoncé peut être vrai, (et pas pour tous les penseurs), dans le monde de la logique, mais pas dans le monde réel. Une tautologie étant toujours vraie, dans tout monde, l'énoncé "la logique est une forme d'épistémologie" n'est donc pas une tautologie.
En revanche si nous considérons cet énoncé non pas d'un point de vue purement logique mais empirique, si l'on ne parle plus un langage objet, mais que nous considérons le méta langage, (le fameux méta que les membres du Cercle de Vienne cherchaient à tout prix à exterminer de la philosophie des sciences), alors pour toutes les raisons explicitées dans notre seconde partie, nous pouvons dire, (et c'est est une possibilité) que la logique est une forme d'épistémologie.
D'une manière paradoxale, si les membres du Cercle de Vienne ont raison alors ils ont tort, et s’ils ont tort, alors il se peut que le méta qu'ils voulaient tant éliminer leur donne … raison.

 

 


Conclusion

Nous pouvons résumer notre essai ainsi.
Dans une première partie nous avons redéfini chacun les termes de notre problématique, et limité leur polyphonie afin de comprendre le fond de notre question, et surtout ses implications.
Nous avons considéré le rôle essentiel de la logique au sein des sciences, quelles qu’elles soient. Ne pouvant traiter le sujet de manière exhaustive, nous avons concentré notre attention sur les membres du Cercle de Vienne, qui souhaitaient démontrer que l'union de la logique et de l'empirisme peuvent de manière exhaustive décrire par l'observation, et expliquer par la raison le monde dans sa totalité.
Dans le but de prouver que la logique n'est pas malgré son importance une forme d'épistémologie, nous avons souligné dans une troisième partie certains écueils épistémologiques, auxquels cette vision néo positiviste pouvait conduire, en citant par exemple non seulement les limites de la raison confrontée à l'expérience du réel, mais également les limites de l'empirisme (quand bien même serait il "logique" comme l'affirmaient les membres du Cercle de Vienne).
Enfin nous avons nuancé notre thèse notamment en différenciant langage objet et méta langage, pour conclure que bien que la logique ne soit pas une forme d'épistémologie, nous pouvons dire par le méta langage qu'elle en est une.
La logique n'apprend rien du monde, de la couleur des corbeaux ou des cygnes ou de la liberté, elle nous instruit du logos (sa seule racine), raisonnement lui-même, ce logos qui constitue à la fois son sujet et son objet. En revanche elle est un moyen absolument nécessaire pour apprendre le monde.
Nous souhaitons reconsidérer notre question à l'aide d'une parabole où les termes seraient moins complexes de par leur polysémie. Le solfège est il une forme de musique ? Nous conclurons rapidement que le solfège est une partie constituante de la musique, elle est un, son langage. D'un point de vue raison(nable), il est inexact de dire que le solfège est une forme de musique, en revanche c'est notre seule manière d'appréhender et de décrire la musique.
De même nous partageons l'avis de Wittgenstein, pour qui la logique n'est pas une épistémologie, (bien que les membres du Cercle de Vienne aient utilisé ses travaux pour prouver le contraire), elle est la forme de notre langage. La logique est un langage rhétorique, elle est un logos, un langage en tant qu'instrument de la raison.
Il est logiquement indémontrable du point de vue du méta langage, de dire que les cygnes sont blancs (Quine), ou que la liberté existe (Popper), ou que la logique est une forme d'épistémologie. En revanche confronté à ce que la philosophie appelle le problème du réel, il est nécessaire d'adopter un méta langage, imparfait et à redéfinir sans cesse, et dans cette perspective alors, les cygnes sont blancs, la liberté est une illusion nécessaire, et l'on peut dire que la logique est une forme d'épistémologie.
Nous pouvons alors poser la question suivante : "peut on dire que l'épistémo-logie est une forme de logique ?"

 

 


Pour rédiger ce devoir, en complément du cours, nous nous sommes appuyés sur les liens et ouvrages suivants :
• "De Socrate à Foucault" Jean François Dortier (chapitres 10 et 11)
• "Petit cours d'autodéfense intellectuelle" Normand Baillargeon (chapitre 4)
• "L'étonnement philosophique" Jeanne Hersch (chapitres sur Russel et sur Kant)
• "Eléments de logique contemporaine" François Lepage (chapitre 3)
• Notre propre précédent travail sur le concept du monde après Kant Philosophie. Le concept de monde après Kant. Qu'est ce qu'une vision du monde?
• Ludwig Wittgenstein, William Van Orman Quine - À la recherche de la langue parfaite (scienceshumaines.com)
• Bolzano’s Logic (Stanford Encyclopedia of Philosophy)
• Vienna Circle (Stanford Encyclopedia of Philosophy)
• Lou Andreas-Salomé : du cosmopolitisme comme métaphore | Cairn.info

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