Billet de mauvaise humeur

"Ce silène, Si ventru que son doigt n'atteint pas son nombril, Pour les femmes encor se croit un doux péril" Cyrano de Bergerac, Edmond Rostand*.

Il y a quelques jours on m'a encore proposé un shidouh (rencontre) avec un homme de 53 ans. Cad de 22 ans de plus que moi. Il ne s'agit nullement de remettre en cause les bonnes intentions de la personne qui a eu cette idée, mais plutôt de questionner ce qui m'apparait comme un phénomène courant, qui dépasse mon cas personnel:
En effet ce n'est pas la première fois que l'on me propose de rencontrer un homme (beaucoup) plus âgé. Parfois ce sont ces hommes eux mêmes qui proposent de me rencontrer, cad qui trouvent parfaitement possible de sortir avec une femme dont ils pourraient être le père. (Sachant que physiquement on me donne une vingtaine d'années c'est encore pire). Si je peux envisager une différence d'âge (dans les deux sens), il va de soi (ou pas) que 22 ans d'écart n'est absolument pas une option pour moi, quelques soient les qualités du monsieur.
Alors certes, et le couple de ma mère et son compagnon de longue date en est grâce à D. un bel exemple, il existe des histoires d'amour avec ici 15 ans, ou bien plus, de différence d'âge. À noter toutefois que l'écart est presque toujours dans ce sens, l'homme plus âgé que la femme. L'inverse est très rare (et souvent raillé). En d'autres termes ce qui de prime abord apparaît comme une expérience et préférence personnelles et privées, reflète un caractère social systémique.
À l'objection facile que les femmes seraient "naturellement plus matures" que les hommes je répondrai que les petites filles sont éduquées et émotionnellement responsabilisées très tôt (donc par la force des choses obligées de murir plus vite) alors qu'on laisse davantage aux petits garçons leur insouciance d'enfants (et bien d'autres choses encore).
Mais l'aspect le plus choquant je pense dans les propositions que j'ai eues, c'est justement qu'il ne s'agit pas d'une histoire d'amour entre deux personnes qui se plaisent mutuellement, malgré un grand écart d'âge à surmonter. Que nenni, ici il s'agit bien de cinquantenaires qui cherchent à se (re)marier, et qui trouvent apparemment parfaitement normal de rencontrer une femme qu'ils ne connaissent pas, de 20 ans de moins. (On se demande si ils trouveraient tout aussi envisageable de sortir avec une femme âgée de seulement 10 ans de plus qu'eux. Pensée émue à l'endroit de Yann Moix).
Si une dame d'une petite cinquantaine d'années voulait rencontrer des hommes de 30 ans, ce serait non seulement mal vu mais surtout, des questions et peurs parfaitement légitimes se poseraient :
Les centres d'interêt seront ils partagés? Ce jeune homme allait il la trouver attirante? (Etrangement personne ne pose la question du désir d'une jeune femme pour un homme bien plus âgé qu'elle -et en général ces cinquantenaires ne sont pas des Brad Pitt et ne font rien pour l'être-. Comme si le seul désir existant, à prendre en compte était masculin). Ou encore, n'allait elle pas trouver son jeune mari immature? Plus important encore, l'écart entre une femme d'expérience et un homme qui pourrait être son fils, n'allait il pas créer une inégalité, malsaine au sein d'un couple? Etc.
Toutes ces questions parfaitement légitimes sont bien sûr les mêmes dans les deux sens, mais pour une raison obscure ne sont apparemment pas des obstacle pour ces messieurs si enthousiastes à rencontrer des femmes beaucoup plus jeunes.
Au contraire: dans un monde où la domination est érotisée* j'emettrais même l'hypothèse que c'est justement ce déséquilibre, cette asymétrie, qui attire souvent inconsciemment ces hommes mûrs (et parfois aussi leurs jeunes femmes). Être plus âgé que sa compagne c'est être un homme d'expérience, rassurant et viril, un pourvoyeur et protecteur, paternel-naliste maître de maison... pâle reflet de la figure du patriarche qui continue pourtant de coloniser les fantasmes de certains hommes. (Parmi tous les types à que j'ai bloqués (ce qui pourrait faire l'objet d'un post en soi) j'ai eu un ancien collègue (marié) qui a voulu me vanter les bienfaits des familles polygames religieuses, je cite "comme les rois"). Au contraire une femme plus jeune donc plus vulnérable et malléable, moins expérimentée, frêle, candide et toutes les qualités associées à une plus grande faiblesse, c'est cela qui est féminin, donc attirant.
Notons que l'asymétrie initiale inhérente à tout écart d'âge (asymétrie qui n'est pas une fatalité et qu'il est, je le crois, possible d'effacer, avec du travail, du respect et de l'amour) augmente un déséquilibre financier et de statut, déjà présent dans la plupart des couples de tout âges.
En tout cas il est vrai que se remarier avec une femme de 20 ans de moins c'est combo gagnant. Les avantages sans les inconvénients ! Quel homme ne rêve pas de tout recommencer avec une femme beaucoup plus jeune? Imaginez, un type ne trouve plus de charme à la femme qui a mûri avec lui, qui lui a donné des enfants, dont le corps et l'âme portent la trace (sans se demander si lui même en aa du charme, ou se donner de la peine d'en avoir) et recommence tout, avec une jeune femme dont il n'aura pas le temps de voir la beauté changer (et non flétrir). Lors des dîners avec ses amis cinquantenaires il sera "fier de marcher avec elle à son bras" (JeSuisUnSacÀMain). Sa fraîcheur, sa spontanéité lui feront retrouver un peu sa jeunesse à lui. Quand il commencera à être plus âgé (cad dans une petite vingtaine d'années) il aura alors une compagne dévouée et vigoureuse qui pourra prendre soin de ses vieux jours. (Ce n'est pas le but évidemment et c'est une réalité difficile à envisager mais elle sera bien réelle lorsqu'elle sera vécue).
Et puis, petit détail important, ces hommes d'une bonne quarantaine voir cinquantaine d'années ont souvent des enfants. Généralement ils n'en ont pas la garde, mais ils doivent évidemment s'en occuper quand ils viennent chez eux. Dans la plupart des couples la charge mentale et les tâches domestiques de (toute) la maison sont majoritairement gérées par les femmes. Il va de soi qu'en se remariant, c'est l'heureuse élue qui gagnera les attributions (sans le statut) de seconde mère lorsque les enfants sont là. En d'autres termes le monsieur profitera de nouveau d'une figure féminine qui pensera et préparera les sandwich de tout le monde quand la petite famille recomposée ira pic-niquer. (Ce n'est évidemment pas non plus pour cela qu'il se remarie (espérons?) mais c'est un "bienfait collatéral" non négligeable, susceptible d'influencer inconsciemment les papas fraîchement divorcés se retrouvant soudain dépassés à gérer des tâches domestiques qu'ils n'avaient pas l'habitude d'accomplir).
Je serai curieuse de savoir s'il y a des études à ce sujet, mais de mon observation personnelle j'ai cru remarquer ceci : lorsqu'il y a divorce ou D. préserve décès du conjoint, les hommes, pères ou non, se remarient bien plus rapidement (et plus facilement) que les femmes. Il me semble que ces dames lorsqu'elles ont des enfants, ont plus de difficultés à se remarier que leurs ex. (Ces pères de famille préferent souvent des femmes sans les bambins d'un autre, pour le bien des leurs, comprenez) .
Ce qui a par contre été étudié et observé* c'est que, en dehors de l'aspect affectif bien sûr, en se mariant les hommes y "gagnent" plus que les femmes (quelle ironie lorsque le mariage est vendu depuis les Disney jusqu'aux séries romantiques comme le but et accomplissement ultime pour une femme): un exemple parmi d'autres: il a été constaté qu'en se mariant (et sans enfants) un homme va consacrer 2h par semaine de moins (sic) aux tâches ménagères que lorsqu'il était célibataire, alors que la femme 7h (!!!) de plus qu'avant (resic). Avec pour les deux membres du couple des conséquences, positives pour les uns, négatives pour les autres, sur l'évolution intellectuelle, spirituelle, professionnelle et sur le salaire : celui des femmes baisse, celui des hommes augmente (assez logique quand on le lie au point précédent d'ailleurs). Lors d'un divorce l'homme subit moins de domages financiers (comme c'est lui qui a le plus gros salaire, vu que la femme a trop à gérer avec les enfants et les 7h en plus. C'est lui qui a donc payé la plus grosse partie de la voiture (et donc qui la garde ensuite). Etc.
Par contre suite à une séparation il perd beaucoup de son confort de vie, qui lui était assuré par une épouse qui s'occupait du foyer, des enfants et du bien être émotionnel du couple. Bref un homme, même sans enfants (mais encore plus avec) qui a goûté aux avantages biens concrets du mariage et qui divorce ou se retrouve veuf, est susceptible de chercher d'autant plus vite à se remarier. C'est souvent le moment où le concerné rappellera le verset de la Genèse "לא טוב היות האדם לבדו il n'est pas bon que l'homme soit seul" (En effet on comprend mieux pourquoi).
Et puisque toutes les possibilités lui sont de nouveau ouvertes, pourquoi pas une fraîche jeune femme pouvant être sa fille, et qui levera vers lui des yeux brillants d'amour et d'admiration? Il pourra la guider, la conseiller et la protéger, il lui fera son premier enfant. Peut-être se dit il, son expérience sera davantage respectée et appréciée qu'avec son ex épouse qui elle avait son âge, et lui faisait maintes reproches pour des broutillles telles que des chaussettes qui traînent..
Vous l'avez compris j'en ai ras la pâquerette de ces hommes parfois pères de plusieurs enfants, et pourraient être le mien, qui ne voient pas de problème à se voir présentés à des jeunes femmes de 20 ans de moins qu'eux.
L'homme que j'aimerais rencontrer si D. veut, ce n'est pas un jeune cinquantenaire qui m'apprendra la vie (me prendra ma vie), mais un Ben Torah portant longues peyoss et barbe (non grisonnantes) qui n'aidera pas sa femme à la maison (et qui comprendra cette phrase) ... ce qui nous laissera du temps pour grandir l'un et l'autre et côte à côte, dans la Torah et son Étude, et les mitzvot. (Si elle vous paraît étrange cette phrase, demandez vous pourquoi vous trouvez tout aussi étrange un mari qui affirmerait qu'il a de la chance car sa femme l'aide dans les tâches ménagères).

* NB: Certaines personnes grosses sont magnifiques. De plus l'apparence n'est pas le seul critère qui rentre en jeu dans l'attirance physique (qui est un travail), et cette dernière n'est que l'une des nombreuses qualités d'une personne. Ces points importants étant rappelés, j'ai utilisé cette citation de Cyrano avec ce but: illustrer le décalage entre des hommes ne correspondant pas aux critères de beauté dits "classiques", mais qui recherchent, tout en étant certains de leur plaire, des femmes qui elles répondraient à ces critères (donc des femmes plus jeunes). Alors que le contraire est beaucoup plus rare.

*voir à ce sujet, la philosophe Manon Garcia et son livre "On ne naît pas soumise"

*Voir à ce sujet: le livre "Le prix à payer" de Lucille Quill, et les posts Instagram de Tiphany Cooper qui vulgarisent ce livre.

Illustration: "la colombe et l'éléphant", Frida Kahlo et Diego Rivera, de 21 ans son aîné.