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Frumette à cheveux longs et idées courtes
28 mai 2023

Le mikvé une plongée dans le temps de la techouva

mikvé ein prat

Le mikvé, une plongée dans le temps de la Techouva.

J'avais élaboré cette petite réflexion sur le lien entre techouva, mikvé (bain rituel) et le shabat il y a 1 an, dans notre groupe WhatsApp de rédaction du magazine Kol-Elles. (Certaines de mes amies le reconnaîtront donc). Le cours passionnant de Hannah Ruimy, également pour Kol Elles* m'a donné l'occasion de le finaliser. (Et la feuille "source" que Hannah y a fourni m'a même permis d'y rajouter quelques détails). Pour les personnes interessées c'est surtout l'excellent livre "Les eaux d'Eden" du Rav Arié Kaplan, qui développe de manière très complète les divers thèmes abordés ici.
C'est un texte important pour moi et si c'est une réflexion que j'ai écrite il y a plus d'un an grâce à Kol-Elles, j'hésitais encore à la partager. Mais aujourd'hui j'avais besoin de le publier ici, avec quelques derniers rajouts. Avec une pensée spéciale pour mon ami et maître Raoul Spiber, à qui je le dédicace.

וְנָהָר֙ יֹצֵ֣א מֵעֵ֔דֶן לְהַשְׁק֖וֹת אֶת־הַגָּ֑ן וּמִשָּׁם֙ יִפָּרֵ֔ד וְהָיָ֖ה לְאַרְבָּעָ֥ה רָאשִֽׁים (...) וְשֵׁ֨ם הַנָּהָ֤ר הַשְּׁלִישִׁי֙ חִדֶּ֔קֶל ה֥וּא הַֽהֹלֵ֖ךְ קִדְמַ֣ת אַשּׁ֑וּר וְהַנָּהָ֥ר הָֽרְבִיעִ֖י ה֥וּא פְרָֽת. בראשית ב׳:י׳-י״ד
~
Il faut que je vous confesse, j'ai toujours eu du mal avec le principe de Techouva (retour/repentir). La Techouva c'est ce magnifique concept juif qui dit que l'on peut effacer ces erreurs, les réparer, et mieux encore! - que l'on peut changer le passé et le mal en bien. Ce qui logiquement apparait impossible. (Pour les friands de philosophie grecque qui liraient ces lignes, la Techouva s'opposerait donc à la première des trois prémisses d'Epictète qui sont utilisées dans l'argument dominateur de Diodore*).
Faire Techouva tel que que cela me l'a été enseigné, c'est se retrouver dans la même situation que celle dans laquelle on s'était autrefois égarée, et ne plus faire la même erreur. On prouve ainsi que l'on est libre, que l'on peut changer, que l'on n'est plus cette personne qui a autrefois devié. Pour faire simple, avec la Techouva non seulement le passé et les erreurs peuvent être effacées, mais il n'y a donc pas de déterminisme, pas de Mektoub.
Et si Ein Mazel leIsrael alors Shalom leIsrael*!

Seulement voilà, si l'idée me séduit beaucoup, ce qui m'a toujours dérangée là dedans, c'est le principe d'Héraclite, le fameux "On ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve": Car nous ne sommes jamais dans l'exacte même situation. C'est aussi ce que dira Leibniz avec son "principe des indiscernables", puis Bergson qui fera la projection temporelle de ce même concept. Bref, il n'existe pas deux choses ni deux moments identiques: le présent est toujours à saisir, il est "création d'imprévisibles nouveautés", et par définition le moment passé ne revient pas. Dans un événement, tellement de paramètres contingents interviennent (et sont justement déterminants dans le comportement que l'on adopte) qu'il est donc impossible de se retrouver exactement dans des conditions strictement identiques.
Alors, comment faire Techouva? Est elle onto-logiquement possible ? Voilà une question qui m'empêche de dormir depuis plus de 10 ans (et me cause de sérieuses insomnies à l'approche de Kippour).

L'année dernière, dans un très beau post sur le mikvé (bain rituel) pour notre compte Instagram Kol Elles*, mon amie très chère et très bientôt rabbin, Myriam Sommer Ackermann avait proposé ce superbe hidouch (nouveauté). Je la cite:
« (Le mikvé) c'est un peu l'inverse du principe d'Héraclite qui veut qu'on ne se baigne jamais deux fois dans le même fleuve. Pour notre tradition, quelque part on se baigne toujours dans le même fleuve, et ce depuis l'aube de l'existence ».
Cette interprétation de Myri est non seulement très belle, mais elle est aussi pour moi "source" (au sens plein du terme) de beaucoup d'apaisement: Les erreurs pourraient être dissoutes, effacées, comme une goutte d'eau qui se dissoud dans l'océan originel, et revient à sa source. (Hannah Ruimy rappelait que contrairement au feu qui détruit jusqu'à ce qu'il ne reste que des cendres, "l'eau dissout complètement, et efface les frontières entre l'eau et le corps").
Et donc, à mon sens, elle les efface aussi entre soi et le monde. Les eaux du mikvé rappellent que nous en sommes un élément du monde, une partie dans un grand Tout vivant (donc en mouvement !) dans lequel nous nous (con)fondons. Et réciproquement, ce Tout vit également en nous, nous dépasse, mais de l'intérieur. Le Tout est non seulement supérieur à la somme de ses parties mais chacune d'elle témoigne pour le Tout, chacune d'elle est supérieure à ce qu'elle serait indépendamment du Tout (pour rester dans une perspective bergsonienne).
La racine du mot mikvé מקווה signifie à la fois "rassembler" et "éspérer". Les deux simultanément. S'immerger dans un mikvé, c'est rassembler l'individu et son passé dans le Tout originel, c'est ne pas faire obstruction à la nouveauté, à la contingence, à l'indéterminé. Donc à l'espoir du changement. Et à l'espoir tout court.

Se tremper dans le mikvé c'est plonger en soi pour renaître au monde, via une passerelle d'eau qui se et nous, régénère. Qui nous ramène vers le temps originel, vers la Source de Vie, c'est à dire vers le D. Créateur du monde, que le prophète Yirmiyahou nomme justement "Mikvé d'Israël". (J'ai appris de Hannah Ruimy cette appellation du Nom divin). Et c'est la raison pour laquelle je compare le mikvé au Shabat.
Shabat selon Avraham Heschel est une "fenêtre dans le temps" et moment d'éternité. Shabat nous arrêtons de construire, nous stoppons nos travaux, nos créations humaines, afin de jouir de la création divine. Car le Shabat, D. a arrêté de former, de construire le monde. Nous jouissons et témoignons de ce qui est déjà construit, nous remercions des étapes accomplies, de ce qui est là, et que nous n'avons pas le droit de dénigrer quand bien même il reste encore à faire (enseignement de Raoul Spiber).
Shabat devient "la fenêtre" dans un temps intemporel qui nous fait revenir au fleuve du temps, à sa source regénérescente. La temporalité n'est alors plus approchée via la logique, obstruée et tellement limitée de nos yeux humains (qui "ne voient pas" ni comment il est possible d'arrêter 25h, ni comment la Techouva serait logiquement possible, ni comment continuer après un échec). Mais grâce au Shabat la temporalité est approchée par des "yeux témoins", témoins du divin, des yeux décillés. (Peut être est ce là, le fameux "supplément d'âme" que l'on reçoit à Shabat?). Ce n'est donc peut être pas un hasard si en gardant Shabat on garde la possibilité d'un repentir, d'un pardon, retour (à l'Origine) toujours possible, quand bien même on se serait égaré en chemin.*
De même que Shabat est un temps originel qui nous garde de la fatalité et du poids de la culpabilité et de la tristesse, le mikvé est aussi un espace originel, dans lequel trouver de quoi se resSourcer, se reconnecter à la Source. Un espace intemporel, au début de la temporalité: Car selon les tous premiers mots du premier verset du récit de la Création, וְרוּחַ ה' מְרַחֶפֶת עַל־פְּנֵי הַמָּיִם l'eau originelle existait avant (!) même la création du ciel et de la terre, et donc avant l'apparition du mal. Se tremper dans les eaux d'Eden* c'est se tremper dans les eaux d'avant le "het" (faute) d'Adam et Hava.

Par le mikvé, on peut, non plus par le temps mais par l'espace cette fois, se débarasser du poids coupable du passé, du construit: on ôte tout ce qui peut faire "hatsistsa", obstruction (physique et peut être spirituelle). Pour replonger à la source de soi même, via des eaux qui dépassent la contingence, donc la construction. Ne pas s'enfermer dans la fatalité qui bouche, obstrue notre coeur, jusqu'à le rendre de pierre, "tamé", cad (non pas impur comme c'est souvent mal traduit mais) séparé et imperméable (qui empêche l'eau et l'émotion de passer), figé, déterminé par sa nature. Au contraire il s'agit de se rendre vulnérable, de se présenter dans sa nudité physique et spirituelle, de se délaisser de tout ce qui fait hatsistsa (obstruction), pour laisser les מיים חיים les eaux de vie, les eaux vives et vivifiantes, nous redonner un coeur de chair, vivant, "tahor", perméable, reconnecté aux autres et à D.
(J'aimerais donc ici proposer comme traduction de tahor et tamé, les termes "connecté" et "déconnecté": Le mikvé permet la " tahara", la re-connexion spirituelle et relationnelle, alors que l'état de "touma" déconnecte momentanément la personne des autres et de sa capacité de création et donc d'action en la figeant dans une imperméabilité sociale et ontologique).

Le mikvé touche à l'essence, c'est ce qu'affirme le Meïri* lorsqu'il explique que le premier mikvé fût celui de Sarah, princesse et matriarche, qui dans cette plongée dans l'en-deça, accomplissait la même chose que la circoncision d'Avraham.
Le mikvé fait regarder "au-dessus des étoiles" et de leurs significations (Midrash rabba), au delà de l'astrologie, du déjà écrit, du Mektoub. C'est le Lech-lecha d'Avraham, le Lechi-lach de la bien-aimée du Cantique des cantiques, pour devenir sa propre bénéfiction ותהיה ברכה . Shabat et le mikvé sont deux fenêtres, l'une temporelle l'autre spatiale. Ils sont une verticalité ouverte et transcendante, qui scinde en deux le construit et le fatalisme. De même que D. séparera les eaux du ciel et de la mer, séparera le bien et le mal. Mais si par erreur on s'égare et les confonds, si l'on tombe dans le désespoir, si l'on se déconnecte dans le fatalisme et bien la תשובה le retour, la rupture de la boucle causale et fatale, la remontée vers l'espoir, sont toujours possibles. Grâce au Shabat, grâce au mikvé.
Et l'on comprend alors peut-être mieux pourquoi la Techouva est, selon la gemara (massehet Pessahim) l'une des 7 choses créées avant même la création du monde. Parce-que la Techouva est liée à l'eau originelle, qui elle aussi existait déjà avant le monde, donc avant la faute. Et que dans cette eau originelle, on peut se plonger, pour faire renaître en nous la Vie et toutes ses possibilités.

En ayant en tête que brisure chever שבר et chabat שבת s'écrivent presque pareil, j'aimerais finir sur cette phrase bien connue de Rabbi Menachem de Kotztk (mon hassid préféré)
"אין דבר שלם יותר מלב שבור, זועק יותר מן הדממה וישר יותר מסולם עקום" (ר' מנחם מנדל מקוצק).
"Il n'y a rien de plus entier qu'un coeur brisé, pas de cri plus déchirant que le silence, et rien de plus droit qu'une échelle tordue".
Si ce qui est tordu ne peut être redressé (Kohelet) on peut tout de même s'en servir comme "la plus droite des échelles". Quant au coeur, s'il est brisé c'est, chantera Léonard Cohen par cette brisure qu'entre la lumière. Rien de plus entier et peut-être rien de plus pur qu'un coeur brisé.
~

Photo que j'ai prise il y a quelques années à Nahal Ein Prat, près de mon ancien chez moi, dans une source naturelle qui avait été transformée en bassin donc en mikvé. J'y descendais à pied de ma maison et j'y emmenais les gens qui me sont chers. J'y ai laissé là bas des souvenirs douloureux et n'y suis jamais retournée. Aujourd'hui me rappeler qu'il s'agisse d'un mikvé m'est source d'espoir. D'autant plus qu'il se situe à Ein Prat, et selon le texte de la Genèse, il prend sa Source du jardin Eden, dans les eaux originelles. C'est donc le mikvé au sens le plus plein
וְנָהָר֙ יֹצֵ֣א מֵעֵ֔דֶן לְהַשְׁק֖וֹת אֶת־הַגָּ֑ן וּמִשָּׁם֙ יִפָּרֵ֔ד וְהָיָ֖ה לְאַרְבָּעָ֥ה רָאשִֽׁים(...) וְשֵׁ֨ם הַנָּהָ֤ר הַשְּׁלִישִׁי֙ חִדֶּ֔קֶל ה֥וּא הַֽהֹלֵ֖ךְ קִדְמַ֣ת אַשּׁ֑וּר וְהַנָּהָ֥ר הָֽרְבִיעִ֖י ה֥וּא פְרָֽת. בראשית ב׳:י׳-י״ד

*Première des trois prémisses d'Epictète utilisées dans l'argument dominateur de Diodore: « Toute proposition vraie concernant le passé est nécessaire. »

*Ein Mazel leIsrael: expression signifiant qu'Israël n'est pas soumis au déterminisme des astres) et Shalom leIsrael expression signifiant en grosso modo "affaire classée".

* Post Instagram Kol-Elles sur le mikvé par Myriam: https://www.instagram.com/p/CcyZAZQL8xe/?igshid=MzRlODBiNWFlZA==

*Shabat 118b: Rabbi Ḥiyya bar Abba a dit que Rabbi Yoḥanan a dit : toute personne qui observe le Chabbat conformément à ses halachot, même si elle pratique l'idolâtrie comme dans la génération d'Enosh, D. lui pardonne ses fautes, comme il est dit : " Malheur à l'homme (énosh) qui fait cela et à celui qui s'y tient fermement, celui qui garde le Chabbat pour ne pas le profaner (meḥallelo) et garde sa main pour ne pas faire de mal " (Isaïe 56:2). Ne lis pas "de le profaner (meḥallelo) mais "il est pardonné" (maḥoul lo).
"אָמַר רַבִּי יוֹחָנָן: כָּל הַמְשַׁמֵּר שַׁבָּת כְּהִלְכָתוֹ, אֲפִילוּ עָבַד עֲבוֹדָה זָרָה כְּדוֹר אֱנוֹשׁ - מוֹחֲלִים לוֹ. שֶׁנֶּאֱמַר: "אַשְׁרֵי אֱנוֹשׁ יַעֲשֶׂה זֹאת... שׁוֹמֵר שַׁבָּת מֵחַלְּלוֹ", אֶל תִּקְרֵי מֵחַלְּלוֹ אֶלָּא מָחוּל לוֹ". מַסֶּכֶת שַׁבָּת קיח'.
Merci Raoul Spiber pour cet enseignement

*Le jour où Dieu a ordonné à Avraham de se faire circoncire, Sarah est allée au mikvé. Malgré le fait que la Torah ne fasse aucune mention de l’immersion de Sarah, Sarah recherchait un rituel qui transformerait son essence, la changeant de Saraï à Sarah, d’une femme à la mère du peuple juif." Rabbi Menahem Ha-Meiri, (Provence, 1249-1306).
Extrait de la feuille source de H. Ruimy pour le cours de Kol-Elles)

*Pour aller plus loin sur le mikvé lire "Les eaux d'Eden" par le Rav Arié Kaplan et sur Shabat "Les bâtisseurs du temps" d'Avraham Heschel

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