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Frumette à cheveux longs et idées courtes
31 juillet 2020

Philosophie. Histoire de l'évolution.

singe

 

Dans quelle mesure les recherches de Darwin sur la place de l'humain dans la nature en changent elles le statut ?

 

 

Introduction

 

En 1916, dans son Introduction à la psychanalyse, S. Freud cite une triple blessure narcissique de l'humain au cours des époques. La première étant la révolution copernicienne où l'être humain prend conscience qu'il n'est pas le centre du monde (au sens littéral qui implique le sens figuré donc psychologique). La dernière blessure est justement du domaine de la (méta)psychologie : Par sa découverte de l'Inconscient et ses résultantes, Freud affirme que "Le Moi n'est pas maître dans sa propre maison", c’est-à-dire de son esprit. Quant au second traumatisme narcissique, il s'agit des recherches de Darwin sur le statut humain au sein du Monde.

Dans quelles mesures les théories naturalistes développées dans "l'Origine des espèces" (1859) changent elles la place de l'humain dans la Nature ?

Nous aborderons les outils conceptuels de la Théorie de l'Evolution, et analyserons tout d'abord en quoi les découvertes du XIXème siècle constituent en Histoire naturelle, une profonde blessure narcissique quant à la perte de la suprématie humaine, blessure doublée d'une peur panique, d'un monde chaotique car hasardeux. Dans une seconde partie, nous étudierons les réactions à ce bouleversement métaphysique qui, pour tenter de contrôler le principe d'Evolution, en instrumentalise les mécanismes. Nous nous pencherons plus en détail sur le racisme et l'eugénisme. Enfin nous étudierons en quoi ces réactions constituent une réduction des recherches de Darwin à un seul de ses principes de la sélection naturelle, et pourquoi la morale collaborative est également moteur d'Evolution.

 

 

Partie I

 

 

Si les recherches de Lamarck et de son grand père Erasmus Darwin, ainsi que ceux de son contemporain Malthus ont fortement influencé Charles Darwin, c'est à ce dernier que l'on doit le concept de la sélection naturelle, principe essentiel de la Théorie de l'évolution.

Charles Darwin n'est pas le premier à aborder un point de vue évolutionniste dans le champs disciplinaire de l'histoire naturelle. Dans un contexte de la seconde moitié du 19ème siècle, où la pratique des naturalistes évoluait, il a été précédé et influencé par Lamarck, Malthus, Erasmus Darwin son grand père, et par son contemporain et co-découvreur Wallace, où ces idées portaient alors le nom de transformisme. En revanche il est le premier à utiliser le terme d'évolution, à défendre l'idée d'une sélection naturelle, et à proposer un mécanisme convaincant pour expliquer cette transformation des espèces au cours du temps.

Jusqu'alors l'histoire naturelle était fondée sur des bases fixistes et créationnistes, car fidèles aux récits religieux: Les espèces sont considérées comme immuables et d'origine divine. Ainsi l'animalité est une régression humaine, un essai qui tend vers l'humain: Les ramifications généalogiques sont des esquisses vers l'espèce humaine. Chaque espèce est distincte l'une de l'autre, le passage de l'une à l'autre n'est pas graduel, mais se fait par saut (saltationnisme), et les disparitions sont expliquées (insistons sur ce terme), par les grandes catastrophes (une cause donc extérieure). Et l'humain, créature parfaite créée à l'image de Dieu, trône au sommet de la création, de toutes les autres espèces qui n'en sont que des esquisses.

Charles Darwin va opérer un chamboulement révolutionnaire avec sa théorie de l'évolution. Par ses mécanismes tels que le gradualisme et la sélection naturelle, l'humain va découvrir qu'il est un singe comme les autres, et qu'il n'est pas une créature divine mais un hasard de la Nature.

 

1) L'humain est un singe comme les autres.

La Théorie de l'Evolution a pour base l'observation empirique des similitudes entre les espèces:

-Des ressemblances anatomiques (il existe une homologie organique commune, par exemple la colonne vertébrale).

-Des ressemblances biologiques (il existe une variabilité au sein de chaque espèce ce qui s'oppose à la théorie fixiste).

-Des ressemblances génétiques: Au 20ème siècle la découverte d'une base ADN commune à tous les êtres vivants, renforce la théorie d'une unicité des espèces, et soutient l'idée qu'il existe des liens généalogiques entre tous les organismes.

-Il existe également des preuves paléontologiques qui expliqueraient les liens entre disparition et transformation (en opposition au catastrophisme), et ainsi la mouvance de la vie qui ne serait ni fixe ni saltationniste.

Toutes ces observations empiriques mises en commun, permettent à Darwin d'unifier la nature à une échelle macroscopique. Les espèces ont toutes une base commune et se transforment lentement et graduellement au cours du temps. La remise en question de l'immuabilité des espèces implique une révolution du statut humain. Jusqu'au 19ème siècle, ces dernières étaient fixes et crées par Dieu, distinctes les une des autres. L'humain était au sommet de cette création, chaque autre créature était un essai de la nature qui tendait vers l'humain, et celui-ci se retrouve maintenant de famille avec le chimpanzé.

En unifiant tous les êtres vivants, l'humain n'est plus crée parfaitement à l'image de Dieu mais évolue comme animal, il devient par conséquent ni plus ni moins qu'un singe comme les autres, et c'est la raison pour laquelle Darwin se "fait l'effet d'avouer un meurtre", quand il annonce que "les espèces, (incluant l'espèce humaine) ne sont pas immuables".

 

2) L'humain est le fruit d'évolutions hasardeuses de la nature, phénomène appelé "sélection naturelle". Si Darwin est le premier à offrir un concept éloquent et décisif pour expliquer les transformations des espèces, les idées d'évolution étaient déjà étudiées au 19ème siècle. En revanche elles portaient le nom de "transformisme" du fait que les espèces se transformaient pour s'adapter au changements de leur milieu. Darwin propose un raisonnement complètement inverse : les espèces ne se transforment pas pour développer des caractéristiques qui leur permettraient de s'adapter à leur environnement. Ce sont les espèces qui ont l'heureuse chance de posséder des spécificités qui leur permettent de s'adapter à leur environnement, qui vont survivre. Par exemple un animal ne développe pas de la fourrure pour résister au froid. C'est l'animal, qui par hasard possède de la fourrure qui va survivre au froid. Il existe au sein de toutes les espèces des variations, qu'il s'agisse de taille, de couleur, de résistance ou de comportements. Selon le contexte, certaines de ces variations sont désavantageuses (et les animaux disparaissent) tandis que d'autres constituent un avantage et ce sont ces individus qui vont survivre et se reproduire. Apparaît donc une lutte pour l'existence (au sens métaphorique du terme, il ne s'agit pas de la lutte physique entre individus, par exemple entre individus mâles pour l'accès à la reproduction, ceci nous l'aborderons dans quelques lignes), qui a pour conséquence une sélection naturelle nécessaire et invisible, une loi témoin des variations génétiques accidentelles. La sélection naturelle agit comme une sorte de tamis qui retient les caractéristiques les plus adaptées à l'environnement, la diversité qu'elle soit anatomique, neurologique ou autre, augmente les chances de survie de l'espèce, car cette survie dépend d'une loterie héréditaire. Ce caractère non finaliste change ainsi considérablement la place de l'humain au sein de la nature, et témoigne d'une vision du monde subversive voire hérétique pour l'époque, car complètement affranchie de toute forme de divinité, que celle-ci soit créationniste et fixiste (en accord avec les récits religieux), ou bien que cette divinité soit spinoziste et non transcendante (la Nature est bienveillante car Nature et Dieu ne font qu'un). Jusqu'alors et même au sein des mouvements évolutionnistes, il était admis que les changements étaient le résultat d'un plan (par nature préconçu). Ce plan pouvait être celui d'un Dieu transcendant, ou bien celui d'une Nature charitable qui chercherait à adapter ses créatures aux dangers de leur environnement, en fournissant par exemple une fourrure chaude à l'animal qui vit dans le froid, et un pelage discret à l'espèce qui est la proie de prédateur. Darwin se positionne en rupture totale à cette vision finaliste anthropomorphiste et rassurante. Pour lui la sélection naturelle est le fruit du hasard, c'est un mécanisme froid, et aveugle donc impitoyable.

A noter que la sélection sexuelle (qui se superpose à la sélection naturelle), repose selon Darwin sur « l'avantage que certains individus ont sur d'autres de même sexe et de même espèce, sous le rapport exclusif de la reproduction ». Les individus qui possèdent des caractéristiques favorables du point de vue reproductif, se multiplient davantage et les transmettent à leurs descendants. Ces traits secondaires propres aux mâles et aux femelles ne sont forcément nécessaires à la survie de l'espèce, voire sont parfois désavantageuses. Par exemple les couleurs vives de la longue queue des poissons "Guppy" mâles reposent entièrement sur le fait que les femelles préfèrent s'accoupler avec les mâles qu'elles jugent les plus attrayants, alors que ces couleurs vives peuvent rendre ces poissons plus identifiables, donc vulnérables face aux prédateurs. Notons toutefois dans ce que l'on pourrait qualifier de "séduction naturelle", que les individus mâles et femelles les plus vigoureux et en meilleure santé, sont généralement considérés comme les plus attractifs sexuellement, ce qui favorise la survie des individus les plus forts et les plus sains. Ceux-ci survivent et transmettent leurs caractéristiques, alors que les autres disparaissent.

Ainsi l'Evolution n'est ni constante ni même cyclique, elle est donc complètement aléatoire et imprévisible. C'est une lecture rationnelle, qui explique comment les espèces évoluent selon des facteurs espace-temps donnés. Ce "libéralisme" génétique n'étant tempéré par aucune "morale", aucune "justice sociale" de la génétique, le rend impitoyable, et en plus de déchoir l'humain de sa supériorité, rend son existence même, incertaine, insignifiante, en proie aux caprices génétiques et aux hasards. En cela cette idée fût autant, sinon plus, révolutionnaire que d'accepter que l'humain soit un singe comme les autres.

 

Les recherches de Darwin sur la place de l'humain détrônent celui-ci de son piédestal, pour le mettre non seulement au rang d'animal comme les autres, mais également comme produit imprévu des aléas de l'Evolution. Comment l'humain va-t-il gérer cette révolution de son statut? C'est ce que nous développerons dans la partie suivante.

 

 

 

 

Partie II:

 

Notons expressément que Darwin n'est pas le fondateur, et encore moins un défenseur des théories que nous allons ici développer (elles lui sont d'ailleurs antérieures). Si les idées naturalistes vont, par réaction, susciter de multiples théories qui changent le statut humain dans la Nature, et si elles instrumentalisent la Théorie de l'Evolution, cette dernière n'est en aucun cas la justification des systèmes qui s'appuient sur elle.

Les recherches de Darwin ont déchu l'humain de deux caractéristiques : - Sa supériorité, en défendant la graduation et en prouvant que les espèces ne sont pas immuable.

- L'illusion de contrôle qu'il pensait tenir, en développant les mécanismes implacables de la sélection naturelle. Pour lutter contre le trouble dans lequel le mettent ces découvertes, il va tenter de rétablir une forme de supériorité et de contrôle, en s'appuyant sur la théorie qui les lui a retirées.

 

 

1/ Rétablir une supériorité intraspéciste ou abolir toute forme de hiérarchie interspéciste

 

A) En ramenant l'humain à sa condition animale, Darwin lui ôte son ascendance sur les autres espèces. Il va ainsi rechercher à remplacer cette supériorité externe et interspéciste, par une supériorité interne, intraspéciste. Si il existe des caractéristiques qui, de manière naturelle, confèrent à certains individus, animaux et végétaux une supériorité sur les autres, et si l'homme est un animal comme un autre, alors l'espèce humaine elle-même aurait des hiérarchies, voire des races. Et à partir du moment où il existe des races, certaines sont supérieures et d'autres inférieures, et les premières détiennent des droits sur les secondes.
Evidemment ce sont les hommes, placés au sommet de cette nouvelle hiérarchie intraspéciste, qui mettent au point cette théorie, c'est à dire des individus hommes, blancs, occidentaux, valides, hétérosexuels, chrétiens. Les Noirs, les homosexuels, les Arabes, les handicapés, les femmes, les Juifs, etc...tout le reste était inférieur, avec différents degrés bien entendu. Ainsi la Théorie de l'Evolution a été instrumentalisée en darwinisme racial, pour servir de base à l'antisémitisme, au colonialisme, au sexisme, au validisme et à toutes formes de discrimination.
Dans la propagande nazie, l'infériorité des juifs était "scientifiquement démontrée" se basant sur des termes morphopsychologiques : les Juifs auraient le nez crochu, les lèvres épaisses et même un crâne et cerveau différents (ces mesures "scientifiques" étaient même diffusées). Alors que les aryens possédaient des traits physiques supérieurs en accord avec leur domination morale (du point de vue nazi bien évidemment).
Lors de la Seconde Guerre mondiale, Emmanuel Levinas a été capturé par les Allemands. Il raconte (*merci à Elie Kling pour cet enseignement) qu'il était si déshumanisé aux yeux de ceux qui s'estimaient être une race supérieure, que ces derniers faisaient leurs besoins devant les prisonniers, ils n'avaient pas la décence que l'on a envers un autre être humain. "En fait à leurs yeux nous étions des singes", conclut Lévinas. Il raconte également que "Bobby", un chien traînait autour du camp, et se rapprochait des prisonniers. Quand Levinas et les autres détenus partaient travailler, le chien pleurait, et manifestait sa joie quand ils revenaient. C’est-à-dire que c'est le chien qui rappelait à ces hommes leur humanité, quand l'humain prend un autre humain pour un animal.
Si ramener l'humain (du moins l'homme blanc occidental qui découvre et subit la blessure narcissique des recherches de Darwin), à son animalité l'a momentanément bouleversé, et fait perdre sa supériorité par rapport aux autres espèces, cette dernière est, par essence, relative à quelqu'un ou à quelque chose. Pour rester dans un rapport d'ascendance, il a trouvé un moyen de rétablir une hiérarchie: en instrumentalisant cette théorie qui l'a fait déchoir, il reste en position de domination non sur les autres espèces, mais au sein même de la sienne.
Cette hiérarchie intraspéciste est fausse : il n'existe qu'une seule espèce humaine. L'homme de Neandertal a disparu peu après l'apparition d'Homo Sapiens qui reste la seule et unique race humaine (avec près de 3% de Neandertal dans son génome ). Si l'évolutionnisme reconnaît des différences au sein de l'espèce humaine, il ne les hiérarchise pas. Pour preuve la mixité génétique de notre espèce est si forte, qu'en cas de besoin elle permet de trouver un donneur d'organe et le fait que le donneur soit Blanc, Noir n'a aucune importance. La couleur de la peau (par exemple) n'est rien de plus que l'expression de gènes communs de manière plus ou moins forte.

B) En réponse au racisme qui classifie les différences au sein des individus d'une même espèce, jusqu'à créer des races humaines différentes, (dans lesquelles celui qui les as crées trône toujours), on assiste également au mouvement inverse : l'antispécisme. Ce courant de pensée vise à abolir la hiérarchisation des différences interspécistes. Si le racisme constitue une forme de capitalisme de la Nature, l'antispécisme pourrait être qualifié de relativisme de la Nature, et se développe notamment dans un contexte postmodene. Pour défendre cette théorie, c'est également les propres recherches de Darwin qui sont avancées: lui-même n'affirmait il pas "tout comme l'homme les animaux ressentent le plaisir et la douleur le bonheur et le malheur", après avoir pris connaissance des travaux de Duchenne sur les lois motrices de la physionomie et le lien avec les corrélats psychologiques ? En d'autres termes, que les émotions et la communication revêtaient une universalité qui dépassait la frontière de l'espèce. Les animaux sont des "personnes non humaines", et il n'y a lieu que l'espèce humaine n'exerce une quelconque domination sur les autres, car les différences de degré sont gommées. Si la Théorie de l'Evolution rend et condamne l'humain à son animalité, et lui enlève ainsi sa supériorité sur les autres espèces, l'antispécisme lui, pousse l'anti-saltationisme à son paroxysme et rend tout animal "personne", et abolit ainsi toute forme de hiérarchie inter et intra-spéciste.

 

 

2/ Retrouver une sensation de contrôle dans une Nature imprévisible

 

Les recherches de Darwin ont non seulement ôté à l'humain sa supériorité, mais le bouleversent également en introduisant la notion de hasard. Pour surmonter cette nature imprévisible et chaotique, l'Humain va essayer de retrouver un contrôle et instrumentaliser également cette théorie même, qui a introduit l'insécurité dans sa vision du monde sans plan, pour tenter de rétablir une forme de sécurité.

La compréhension de Darwin de certains mécanismes de l'Evolution, provient de l'analogie qu'il observe entre sélection naturelle et sélection artificielle, (c'est d'ailleurs le sujet de la toute première partie de "l'Origine des espèces", rédigé dans des termes explicatifs et rationnels). La domestications des espèces a pour conséquence la transmission des caractéristiques que l'humain choisit de privilégier et de cultiver. « Un des traits les plus remarquables de nos animaux domestiques est leur adaptation, non à leur avantage propre, mais à l’utilité que peut en tirer l’homme, ou même à sa fantaisie ». La similitude avec la sélection artificielle est mise en relief de manière logico-déductive, presque mathématique: La domestication permet d'étudier à une échelle de temps beaucoup plus réduite les conséquences de la sélection naturelle dans la lutte (métaphorique, rappelons le) pour la vie. Il existe pourtant une différence entre sélection artificielle et naturelle : la première est le fruit d'un plan humain, elle est contrôlée et tend vers un but: l'amélioration de l'espèce. Tandis que la seconde, nous l'avons étudié, n'est pas finaliste ni dirigée, mais résulte du seul hasard et est par conséquent imprévisible.

Cette différence entre sélection naturelle et artificielle est secondaire d'un point de vue purement didactique, puisqu'elle n'empêche pas l'analogie. En revanche comme nous l'avons précédemment étudié, cette différence revêt une importance capitale d'un point de vue métaphysique car, en addition à la blessure narcissique infligée, elle place l'humain dans un sentiment total d'insécurité à l'intérieur d'un monde sans plan, qu'il ne contrôle aucunement. C'est ce contrôle qu'il va chercher à retrouver.

Puisque l'humain est devenu un animal comme les autres et qu'il peut contrôler l'évolution animale alors il peut, en utilisant la sélection artificielle sur sa propre espèce, retrouver une sécurité métaphysique, une sensation de maîtrise. Cela porte le nom d'eugénisme, c'est une pratique qui consiste à améliorer l'humain en sélectionnant les individus selon leur patrimoine génétique, et éliminer ceux qui ne contribueraient pas à l'amélioration de l'espèce. (Rappelons une nouvelle fois que comme le racisme, l'eugénisme existait déjà avant Darwin et que celui-ci ne les défendait nullement). L'eugénisme cherche à établir puis hiérarchiser des différences. A partir du moment où il y a hiérarchie, il y a légitimité de domination d'individus sur l'autre. Cela peut être avant conception comme nous le verrons plus tard, mais cela peut mener à l'élimination physique pure et simple des personnes handicapées ou jugées handicapées. C'est ce que les nazis ont fait, par exemple dans la campagne "Aktion T4", l'eutha-nazie des personnes handicapées était perçue comme éthique et qualifiée de "mort miséricordieuse" (Gnadentod).

Les défenseurs de l'eugénisme pensent que si l'Evolution nous a donné à nous humains, la capacité d'accélérer son propre processus, alors nous pouvons utiliser cet atout dans la lutte pour l'existence, comme nous utiliserions une fourrure plus épaisse pour nous protéger du froid, et améliorons notre espèce pour le bien de tous, c’est-à-dire qu'il y aurait même un fond éthique à appliquer l'eugénisme.

Nous-mêmes pratiquons l'eugénisme pour des raisons dites "éthiques": La détection prénatale du Syndrome de Down conduit à ce que 96% des fœtus trisomiques dépistés avant la naissance, font l'objet d'une interruption volontaire de grossesse (et l'on parle depuis peu de faire la même chose pour l'autisme).

La pathologisation de la différence, en particulier en France (qui compte entre 40 et 50 ans de retard quant à l'autisme) conduit à considérer la vie des personnes trisomiques avec pitié et indigne d'être vécue. Alors que ces personnes qui pensent par elles mêmes affirment avec force, que non seulement ils n'ont pas moins droit à la vie, mais que leur différence est une richesse, que ce n'est pas leur handicap ou leur différence qui les fait souffrir mais la place qu'on leur accorde et le regard de la société (*voir lien vidéo). Rendre la vie des personnes trisomiques indigne d'être vécue (bien qu'elles disent le contraire), a pour conséquence la majoration du choix des (ex) futurs parents, qui en général et c'est compréhensible, ne se sentent pas prêts ni à faire face au défi d'élever un enfant différent, ni à faire le deuil de la normalité. Il ne s'agit pas d'une maladie incurable, douloureuse, (ni l'autisme ni la trisomie ne sont une maladie), limitant la durée de vie de l'individu. La future mère a évidemment le droit de choisir si elle veut ou non un enfant, quand elle le veut et d'interrompre une grossesse non désirée. En revanche le choix d'avoir ou non un enfant, n'est pas le choix d'avoir ou non cet enfant là.

 

 

 

 

Partie III

 

 

 

1) Les variations d'une espèce augmentent ses chances de survie

 

Mais outre le problème éthique non négligeable d'éliminer les (futurs) individus qui présenteraient des caractéristiques perçues comme désavantageuses et anormales, ce que l'eugénisme oublie c'est la vision macroscopique et à long terme propre à la sélection naturelle, et non à la sélection artificielle. Dans les conceptions pré-évolutionnistes (ainsi que dans les conceptions eugénistes), ces variations étaient considérées comme des anomalies (à éradiquer donc), mais Darwin les perçoit comme des opportunités. L'unification du phénotype et donc du génome d'une espèce abolit les différences, les variations propres à l'Evolution, pour ne créer qu'un seul type d'individu. Cela donne l'illusion d'être bénéfique et ça l'est effectivement à court terme, à l'échelle de quelques générations, c’est-à-dire parfait quant aux but de la domestication. Mais c'est oublier que ce sont les variations génétiques, donc les différences qui ont permis à l'espèce de survivre à long terme, c'est oublier que l'existence même de différentes neurologies est un moyen de multiplier les caractéristiques humaines, et donc ses chances d'adaptation de l'espèce. La pensée darwinienne n'est pas un capitalisme de la nature, une loi du plus fort mais une covariance de différents facteurs. Une espèce hétérogène a plus de chances de résister aux changements qu'une espèce homogène, aussi évoluée soit elle: encourager l'homogénéité génétique par l'existence d'un seul type d'individu réduit donc les chances de survie de l'espèce à long terme.

La sélection naturelle ne se réduit pas à la lutte pour l'existence à un moment T, ou alors il s'agit d'une sélection artificielle. Ce serait réduire le processus d'Evolution au seul facteur de l'espace, que d'oublier le facteur temps qui nécessite des variations, une muabilité des espèces et une hétérogénéité. Au contraire il y a corrélation des facteurs espace et temps. Soustraire le facteur temps de l'Evolution conduit à une lutte pour l'existence, qui ne serait plus seulement métaphorique mais prendrait la forme de l'eugénisme. Effectivement en sélection artificielle, la multitude des variations n'est pas une opportunité, et éliminer les génomes jugés plus faibles paraît avantageux… au moment T. Mais la sélection artificielle, de par son échelle de temps réduite, ne prend pas en compte les hasards qui interviennent au cours du temps. C'est justement ce facteur de temps, chaotique et imprévisible, qui a tant bouleversé l'humain . Il cherche donc à surinvestir le facteur espace et la lutte pour l'investir et y vivre, à surinvestir l’Avoir ; et néglige ainsi le facteur Temps, sa part de hasard et les multiples manières d’Etre qui en découlent. L’humain utilise l‘Evolution qui en s’opposait au départ aux récits théologiques et érige un nouveau créationnisme, mais scientifique cette fois, qui fixe alors l’Humain en un seul modèle. Pourtant les différences génétiques augmentent non seulement les chances de survie de l’espèce à long terme mais elles sont également source de richesse immédiates. C’est ce que nous étudierons maintenant.

 

2) Tirer avantage de la différence au lieu de la pathologiser permet une mise en commun de plus de compétences, l'étude d'un exemple concret : l'autisme sans déficience intellectuelle

 

L'autisme est une condition neurodéveloppementale (présente donc dès la naissance), caractérisée par deux grandes familles de symptômes (la dyade autistique) dont l'origine est en majorité des facteurs génétiques (et épigénétiques) héréditaires *(voir lien en bas de page). A noter que l'autisme présente une très forte hétérogénéité interindividuelle, tant au niveau génotypique que phénotypique, et c'est pourquoi l'on parle de Spectre Autistique (S.A). La considération de l'autisme, en particulier en France, nécessiterait un long développement qui n'a ici pas sa place. C'est pourquoi nous aborderons dans cette partie, seulement l'autisme dit "de haut niveau", c’est-à-dire sans déficience intellectuelle. Comme nous l'avons précédemment étudié, l'humain tend à hiérarchiser la différence. Dans notre cas il s'agit soit :

a/ De pathologiser l'autisme, à le percevoir comme un "défaut", un handicap par essence. Alors que l'autisme est un état qui va générer une situation de handicap dans un contexte qui cherche à unifier les spécificités autour d'une norme, d'un seul phénotype considéré comme supérieur. Rappelons que cette tentative d'unification ne passe pas toujours (et heureusement), par un eugénisme actif quelque soit sa forme (bioéthique et prénatale incluse), mais cette volonté d'unifier le genre humain se ressent dans cette tendance à l'établissement d'un seul modèle pour gagner la lutte pour l'existence, (donc d'une seule norme considérée saine), et ainsi de la pathologisation de la différence.

b/ Au contraire, il existe une tendance inverse de hiérarchisation de la différence, qui reviendrait à percevoir ce qui sort de la norme comme une supériorité sur celle-ci. Ce qui constitue également une tendance eugéniste. Dans notre exemple c'est de considérer les autistes comme l'avenir du genre humain, des sortes d'"X-men" aux supers pouvoirs, des animaux de foire aux capacités incroyables mystifiées, (*note en bas de page). Il s'agit soit d'une méconnaissance de l'autisme de haut niveau, soit d'une instrumentalisation par certains autistes des thèses du mouvement de la neurodiversité, mouvement qui prône non pas une nouvelle hiérarchisation, mais bien la revalorisation des compétences spécifiques des personnes neuroatypiques. Rappelons que l'Evolution n'est pas un concept finaliste : Les variations au sein d'une espèce apparaissent par pur hasard, et non pas pour adapter l'espèce à son environnement, l'autisme n'est pas un humain plus évolué, mais un simple profil cognitif différent avec ses forces et ses faiblesses, qui contribue à l'hétérogénéité et ainsi aux chances de survie du genre humain. Dans les milieux de la Silicon Valley qui s'est construite sur la neurodiversité, certaines personnes mentent quant à leur C.V, et se présentent comme autistes (bien qu'elles ne le soient pas). Elles pensent avoir plus de chances d'être embauchées, au vu de certaines qualités spécifiques aux personnes sur le Spectre Autistique (S.A.). Mais pour que ces personnes expriment leur plein potentiel, il est nécessaire de ne pas oublier les défis auxquels elles sont confrontées dans un monde qui ne leur est pas adapté.

Comparer un cheval de trait et un cheval de course n'a aucun sens: l'un a des particularités de force physique, l'autre de vitesse. (A noter que l'analogie a une limite : il n'existe qu'une seule espèce humaine). Dans un monde hippique composé majoritairement de puissants chevaux de traits, un cheval de course serait handicapé puisqu'il aura plus de difficultés à tirer de lourdes charges. Pour autant un cheval de course n'est pas un cheval né avec une jambe atrophiée. Ce serait un gâchis de potentiel que de considérer les chevaux de course comme des chevaux de trait défectueux, ou pire des chevaux inutiles au lieu de prendre en compte leurs particularités, et d'en tirer avantage. Mais il est tout aussi absurde de considérer les chevaux de courses comme des équidés plus évolués.

 

 

3) Un moyen de prendre part à l'Evolution et de retrouver une sensation de sécurité et une spécificité humaine

 

La prise en compte des spécificités autistiques, des richesses de chaque profil cognitif, l'intégration sociale des différences, a été un moteur de l'Evolution, déjà dans la Préhistoire, (voir article en bas de page). En effet il existe un autre moyen de contribuer à l'amélioration de l'espèce humaine, de prendre une part active au processus d'Evolution : non pas en limitant les variations génétiques hasardeuses, en essayant de contrer l'Evolution, de la maîtriser et de réduire les variations aux plus "avantageuses". Mais à l'inverse en comprenant ses mécanismes à long terme, et en y prenant part, en y tirant avantage. Revaloriser l'hétérogénéité au sein d'une espèce améliore ses chances de survie à long terme nous l'avons vu, mais la mise en commun (et non la pathologisation) des différences est également un moyen de prendre part au processus d'Evolution : non seulement pour bénéficier aussi d'avantages à court terme (comme le milieu de la Silicon Valley par exemple), mais également pour retrouver une humanité au sein de la Nature, comme nous allons le développer.

En utilisant la sélection artificielle sur sa propre espèce, par l'eugénisme (même sous des termes savants tels que la bioéthique ou l'I.A.), c’est-à-dire en se concentrant seulement sur la lutte pour l'existence même d'un point de vue avancé, l'humain devient un animal comme les autres.

En revanche par la compréhension profonde et macroscopique des principes de l'Evolution, en cherchant non pas à la contrôler mais en prenant en compte tous ses mécanismes (l'importance de la variabilité incluse), il retrouve la spécificité qu'il avait perdue. Si la mise en commun des richesses de chacune des variations est nécessaire à la survie, alors la collaboration et l'entraide contribuent à l'Evolution.

Les recherches du philosophe Patrick Tort, créateur de l'Institut Charles Darwin et auteur de divers essais traitant sur le sujet vont dans ce sens. Tort considère le darwinisme social comme une instrumentalisation, doublée d'une trahison de la pensée de Darwin. Pour ce chercheur il faut non seulement ôter de l'imaginaire collectif, ce que l'on attribue à Darwin, l'eugénisme par exemple; tout en lui rendant ce qui lui appartient, l'importance de la collaboration dans les facteurs d'Evolution. On déforme la pensée de Darwin en la réduisant à la lutte pour l'existence, alors que la collaboration, voire la sympathique (qu'elles soient défendues par des arguments éthiques ou purement pragmatiques), sont également un facteur évolutif. Un comportement anti-éliminatoire et de préservation des différences, est également un moteur de l'Evolution puisqu'il renforce la valeur adaptative de l'Espèce.

On a détourné les idées de Darwin pour réduire l'Evolution à la seule lutte pour l'existence au sein d'un espace, en oubliant le facteur temps, le hasard qui rendent la collaboration utile et nécessaire.

La collaboration morale et la protection des profils différents revêtent ici non plus un aspect seulement éthique (un instinct social pour Darwin), mais utilitaire, pragmatif. L'entraide est également un facteur clé de l'Evolution.

Elles donnent la possibilité d'améliorer l'espèce humaine puisqu'en plus d'encourager l'hétérogénéité, elles permettent (et il s'agit là d'une spécificité humaine seulement ! ), de mettre en commun les avantages des différents types d'individus, au lieu de les confronter à une lutte pour l'existence, qui ne serait plus seulement métaphorique mais scientifique. Ainsi c'est la conscience du temps et de l'importance utilitaire de la coopération, qui permet à l'humain de redevenir un animal différent des autres. Lui seul a la capacité d'une vision macroscopique, et à long terme doublée d'un instinct social.

 

 

Conclusion

 

L'Evolution vient bouleverser la place de l'humain dans la Nature : De créature divine au dessus des animaux, il devient un singe comme les autres. Cette blessure doublée de la peur de vivre dans un monde chaotique lui étant insupportable, il va chercher à contrer cette Evolution en la réduisant au seul facteur qu'il peut maîtriser, (la concurrence vitale dans un espace donné), il n'en devient qu'encore plus un animal : c’est-à-dire qu'en voulant rétablir sa supériorité et son contrôle sur des mécanismes, il n'en reste pas moins singe, mais un singe savant, un animal qui lutte pour l'existence comme les autres, seulement avec des moyens techniques portant des noms savants tels que bioéthique, eugénisme, I.A., etc. En hiérarchisant et en pathologisant la différence, il s'enferme dans une norme homogène qu'il crée lui-même, et qui le dessert à long et court termes. C'est donc moins les recherches de Darwin qui changent le statut humain, que la manière dont elles ont été comprises et les réactions qu'elles ont suscité.

C'est au final la compréhension profonde et l'acceptation de tous les mécanismes de l'Evolution (la part de hasard dans les variations génétiques qui rendent l'hétérogénéité d'une espèce indispensable à sa survie), qui lui permet de retrouver la spécificité humaine, qu'il croyait avoir perdue, de devenir un animal différent des autres et ainsi redevenir humain.

Car s'il accepte sa part d'animalité, s'il renonce à considérer le hasard, les variations et les différences qui en découlent comme un danger à éradiquer, alors l'humain a la possibilité d'être davantage qu'un animal, et par la morale collaborative dont il a le seul apanage, de redécouvrir sa part d'humanité et les richesses de celle-ci. Ainsi les recherches de Darwin continuent de constituer un outil conceptuel essentiel pour interroger l'humain sur sa place au sein de la Nature et du vivant.

Nous conclurons avec cette citation d'Hegel qui nous semble à propos : "Ce qui élève l'homme par rapport à l'animal, c'est la conscience qu'il a d'être un animal... Du fait qu'il sait qu'il est un animal, il cesse de l'être".

 

 

 

Liens

 

* Discours de Frank Stephens, porteur de trisomie 21, au Congrès américain https://www.youtube.com/watch?v=llTP4IPArTY

 

*Les facteurs héréditaires de l'autisme https://blogs.mediapart.fr/jean-vincot/blog/060120/une-analyse-massive-affine-la-carte-des-racines-genetiques-de-l-autisme?fbclid=IwAR0YN6KQbjX586uE6Mb_Vh-HPaCyvgfv6_WU921drDBWaAIXdW3HKtLoGSU*

 

* Pour l'anecdote le personnage qui a inspiré Rain Man, (film qui a contribué à cette vision biaisée de l'autisme=génie dans l'imaginaire collectif), n'était d'ailleurs pas autiste mais présentait une encéphalite cérébrale, une absence de corps calleux entre les deux hémisphères du cerveau ce qui lui permettait d'avoir des connections neuronales très rapides pour certaines tâches, mais un manque d'autonomie complet pour d'autres. Il existe quelques autistes ressemblant au personnage, mais ces cas ne sont certainement pas représentatifs de la majorité de la population autiste dite de "haut niveau".

 

*Autisme et morale collaborative au sein de l'Evolution

https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/1751696X.2016.1244949

 

*Préhistoire: le rôle de l'autisme dans l'Evolution https://theconversation.com/how-our-autistic-ancestors-played-an-important-role-in-human-evolution-73477

 

 

 

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