D'Elor que Milgram est oublié

Meurtrier de sang froid ou héros national? A mes yeux appeler “héros”le soldat franco-israélien ElOr Azaria est aussi ridicule que la peine à laquelle il a été condamné pour avoir tiré une balle dans la tête d’un odieux terroriste qui venait d’être neutralisé après avoir poignardé des Juifs à Hevron le 24 mars 2016 . Certains membres de la justice et quelques représentants du gouvernement considèrent ElOr comme un meurtrier tandis qu’une grande partie du peuple l’a élevé en figure innocente et modèle national.

L’argument qui revient le plus souvent chez ces derniers: le soldat a éliminé l’éventualité d’une bombe en éliminant la vie du terroriste. C’est une raison logique et si l’on pense que le manteau cache des explosifs il vaut mieux être en prison pour avoir désobéi plutôt que de ne rien faire car ce n’est pas “légal” et d’être tout blanc tout mort. Il est facile de juger quand on sait, après coup qu’il n’y avait pas de bombe. L’histoire de la possibilité d’explosifs qui lui permettrait de tirer est à mes yeux un argument juridique que le soldat a (heureusement) utilisée et qui est aussi reprise par les personnes qui en font un héros. J’ai visionné la vidéo (filmée par Betsselem ne l’oublions pas) et mon impression (toute personnelle) est que en son fort intérieur, ElOr ne pensait pas vraiment que le terroriste cachait peut être une bombe sous son manteau, d’ailleurs à ce moment précis je pense qu’il s’en fichait presque, que ce n’est pas pour détruire l’hypothèse d’explosifs qu’il a tiré mais pour détruire le terroriste. A bout, exténué, besoin de faire quelque chose, haine, sous pression, traumatisé, Hevron, fatigue, colère, torturer cette ordure, vengeance, le faire souffrir, sentiment d’impuissance, ras le bol, besoin de justice, rééquilibrer . Et c’est pour cela qu’il tire. Je ne crois pas que ce fut un choix pris par la peur d’un danger éventuel ni après une évaluation rationnelle de la situation. C’était un “cette ordure mérite une balle dans la tête et j’ai les moyens de faire ça”. Ce sont ces mêmes sentiments qui animent ceux qui le transforment en héros, ras le bol, peur, vengeance, haine. Cette histoire de bombe c’est un bon argument (heureusement) mais, au fond les personnes les plus virulentes qui prennent sa défense s’en fichent éperdument de savoir si le terroriste représentait toujours un danger à ce moment là. L’important pour eux c’est que justice ait été faite. Le terroriste enfin tué par un soldat au lieu de faire des études en prison payées par Israël en attendant d’être libéré et de recommencer. Trêve de faiblesse, d’enterrer des innocents jour après jour sous prétexte d’être l’armée “la plus morale du monde”. Ceux qui acclament ElOr soutiennent surtout sa vengeance, le juste retour des choses par la force, enfin! dans un moment où chacun était devenu apeuré et fragile. Ce qu’ils acclament c’est l’adolescente (ElOr n’avait que 19 ans) bouffée de justice insolente et perspicace dans une société Juive restée postmoderne par son incapacité à s’affranchir de son exil occidental. Sous couvert d’argument juridique (“le soldat avait le droit de tirer car il y avait un danger potentiel”) c’est la justice populaire et instinctive qui est soutenue. D’ailleurs en lisant sur les réseaux sociaux les commentaires vomissant hormones et sentiments , vous constaterez que les plus véhéments, les plus ardents défenseurs de l’argument “il a bien fait de tirer l’autre aurait pu avoir une bombe” sont souvent les plus racistes et s’en fichent éperdument de savoir si oui ou non ElOr avait effectivement le droit de tirer ou si le terroriste représentait encore une menace. Ce qui compte pour eux c’est qu’il y ait un terroriste de moins et pour les moins hypocrites d’entre eux un arabe de moins. La peur, la colère, le tout saupoudré de traditions et d’un brin de mystique crée un cocktail aussi dangereux que les hypothétiques explosifs en question. Une société où la justice serait “juste” mais subjective et émotionnelle, je n’en veux personnellement pas et je suis bien heureuse que l’objectivité impartiale à en être stupide de la justice mette le holà à ce déferlement d’émotions tout aussi ridicule. Non un soldat qui abat un terroriste à terre n’est pas un héros. Il n’y a rien d’héroïque à tirer sur une cible neutralisée. Cet inhumain méritait il une balle dans la tête? Non. Il méritait une mort bien moins douce. Cette exécution presque indolore était bien trop pour lui. Causer un tel dilemme puis une telle souffrance à un soldat qui donne tout à un pays qu’il a choisit avec amour (ElOr est originaire de France), cela aussi était bien trop pour cet abject terroriste qui voulait répandre plus de sang et douleur que ce qu’il a réussi à causer avant d’être neutralisé.

Mais il ne s’agit pas de cela. Israël est un pays Juif et démocratique. Il n’est pas parfait certes mais ne pourra jamais le devenir si chacun peut mener librement sa propre justice. Si tout le monde agissait ce qui lui semble juste, la société tournerait à l’anarchie où les tripes et le cœur régneraient en maîtres impulsifs de bêtise, (certains commentaires Facebook sur le sujet nous en offrent un dangereux aperçu). Il y a des lois, elles sont nécessaires, doivent être respectées et ceux qui les transgressent jugés et punis si nécessaire. Si ces règles sont mauvaises (et c’est certainement le cas pour beaucoup trop d’entre elles, d’où le ras le bol) alors ce sont elles qu’il faut changer. ElOr a agi de sa propre initiative et est allé délibérément à l’encontre des lois au sein de Tsahal. Il ne faut pas s’étonner mais presque se féliciter qu’une enquête soit ouverte et que les sentiments n’occultent ni les faits ni les lois. Que le choix du soldat ait oui ou non été le meilleur n’a rien à voir avec cette question.

Je ne dis pas qu’il faille obéir aux ordres sans se poser de questions ni qu’il faille toujours obéir. Pour avoir installé inconfortablement les expériences de Milgram et d’Asch dans les coulisses de ma conscience je ne serai jamais partisane de l’obéissance aveugle à une quelconque autorité si cela allait à l’encontre de la Morale. Etant d’un caractère qui remet instinctivement en question tout postulat (au grand dam de mes professeurs qui devaient compenser la lenteur de ma compréhension par des arguments sans faille aucune), je ne peux accepter l’idée d’être privée d’indépendance intellectuelle ou de liberté de choix. J’ai moi même souffert des conséquences de la conformité facile et j’accuse tout ceux qui croient rester “neutres” dans une société où le spectre de lumière est devenu transparent à force d’être égalitaire, homogénéiser les couleurs uniques de chaque valeur, de chaque idée. Je défends l’obéissance aux règles et je défends aussi le droit de ne pas obéir aux ordres pour suivre ceux de sa conscience ... mais en assumant les conséquences de ce choix, sinon il n’y a plus de choix plus de responsabilité plus d’humain. Il n’y a pas de neutre, je crois même que le zéro n’existe pas, qu’il n’est qu’une invention des Babyloniens (après la destruction du Temple, la pire chose qu’ils aient faite aux Juifs ce zéro, ). Dans cette société on oscille entre un manichéisme viscéral qui fait office de bon sens et un postmodernisme idéologique bien vu si l’on veut se donner un air d’intellectuel. Dans ma Torah on a toujours le choix, tout est question de priorité et de responsabilité, même quand on a un couteau sous la gorge on a encore un choix (voire sanhedrin 74a) . L’humain reste constamment libre de ses décisions qu’elles soient quotidiennes ou/et cornéliennes. Le “je prends sur moi ta responsabilité” n’est qu’une illusion enfantine qui ne fait qu’exécuter les ordres et ce, sans haine aucune. Et elle n’a pas obligatoirement un physique aryen comme Hannah Arendt et Milgram l’ont souligné. Choisis de tirer sur le terroriste à terre et tu devras assumer les conséquences morales et/ou juridiques toute ta vie. Choisis de ne pas tirer sur le terroriste et tu devras aussi assumer les conséquences Agis et vis avec. Choisis de ne pas agir et vis avec. Personnellement dans le cas d’ElOr je ne sais pas ce qui était le mieux à faire, chaque personne jugera la situation différemment surtout à chaud. Mais dans chaque cas les conséquences d’une (non/)action sont la preuve que l’on est responsable donc humain. C’est pour cela que je suis pour qu’ElOr reçoive une peine symbolique faisant honneur à sa responsabilité et à l’Etat d’Israel. Qu’il soit gracié au bout d’un jour ou deux de prison. Mais pas davantage et au contraire pourquoi pas du soutien pour avoir fait un choix, bon ou mauvais je l’ignore, mais risqué et difficile.

Car oui de l’autre côté nous avons ceux qui diabolisent ElOr, qu’ils soient sans surprise originaires d’ Europe ou sans surprise aussi mais avec plus de colère de certains milieux de la gauche israélienne. On dépeint le jeune soldat sous une image d’assassin froid sans une once de sensibilité tandis que le terroriste est, depuis que sa mort l’a rendu inoffensif, appelé “le défunt” par la Cour . Ce qui se passe depuis cet événement est à mes yeux d’une absurdité folle, un combat entre une objectivité aveugle au contexte et des émotions aveugles à la raison. Condamner ElOr avec autant de fermeté que de tolérance envers les vrais terroristes c’est faire preuve d’une faiblesse intolérable et dangereuse que nos ennemis exploitent presque autant que l’Iran a exploité Obama. C’est aussi baisser le moral du peuple qui est déjà affaibli par les pertes quotidiennes et qui malgré tout, soutient encore son armée et ses dirigeants. C’est porter un gros coup à cette loyauté parfois imméritée. C’est ne pas tenir compte du contexte, c’est juger comme Rav Hissda jugeait Rami ( תלמוד בבלי,מסכת חולין, דף קי עמוד א-ב ) , c’est statuer selon Shamay HaZaken alors l’on vient juste d’allumer les bougies de Hannouka selon l’ordre humain instauré par Hillel. Ceux qui dirigent de loin ne peuvent pas comprendre ElOr. C’est bas et facile de juger du haut de sa vieillesse. Les guerres nationales de l’époque ne ressemblent en rien au terrorisme civil d’aujourd’hui. La situation est tout sauf semblable. Personne ne peut comprendre avant d’avoir enchaîné garde sur garde dans le froid glacial ou la chaleur étouffante, au milieu d’individus qui dès que votre attention se relâche, veulent vous assassiner vous et votre peuple. Et au poids des gilets pare balle, des casques et m16 que vous portez sur votre conscience, c’est apparemment vous, à tout jute 18 ans qui êtes sensé garder tout le monde en vie avec une intégrité digne de la fusion de l’expérience d’un ancien militaire et de l’humanisme d’un grand philosophe, homme de droit de surcroît.. Les règles de l’armée la plus morale du monde impliquent que vous devez faire plus attention à la vie de l’ennemi qu’à la votre. Il faut agir à chaud mais comme si on avait un bouquin de droit dans la main. En face ils le savent et en profitent (d’ailleurs la famille du terroriste est mécontente et demande réparation. Ils veulent mener l’affaire devant des tribunaux internationaux car ils accusent Israël de partialité et pour le coup je suis bien d’accord avec eux). On arrive à des situations où des gens meurent ou sont blessées pour ne pas aller en prison. Beaucoup de moyens physiques mais aucun légal. Des mains tenant un Tavor saignant sous des cailloux lancés par des gamins arabes qui se dénudent narguant impunément des soldats armés jusqu’aux dents devenus impuissants. Telles sont les scènes quotidiennes en Judée Samarie. Alors ce qui était prévisible n’arrive pas, car on est sur ses gardes, la tension est insupportable et quand cela se passe finalement, le soldat arrive le plus souvent à temps (mais trop tard pour son casier judiciaire) et parfois trop tard. Trop d’émotions pour n’importe qui, encore plus quand on a moins de 20 ans. Au niveau légal ElOr a failli, selon la justice pure il a fait erreur c’est certain. Et la Cour trop contente de pouvoir appliquer la juridiction de manière impartiale et rationnelle fayote (“regardez regardez comme je traite mes propres citoyens et militaires Juifs, vous m’aimez maintenant?”) devant les grandes puissances qui l’accusent continuellement d’apartheid et de crimes contre l’humanité. Je partage ici ce post que je trouve très juste: Si je l’avais écrit ceux qui connaissent mon idiote amour de la vérité et ma rationnelle inflexibilité auraient dit que c’est la charité qui se fout de l’hôpital donc merci à Schlomoh Brodowicz d’avoir écrit les mots justes que mon esprit borné à la justice sèche aurait été incapable de trouver: “Il est écrit dans le Talmud (traité Baba Metsia 30b) :« Rabbi Yo’hanane affirme : “Jérusalem n’a été détruite qu’à cause du fait que les juges appliquaient la loi de la Torah.” »On objecte alors :« Mais que fallait-il donc appliquer, si ce n’est pas la loi de la Torah ?! »
Et le Talmud répond :« Il fallait savoir aller au-delà de ce qui est requis par la stricte loi. (Et on ne le fit pas) »Le dernier de verset de la Torah dit :« Et il n'a plus paru, en Israël, un prophète tel que Moïse, avec qui parla avec l’Éternel face à face, eu égard à tant de signes et de prodiges que l’Éternel lui donna mission d'opérer en Egypte, sur Pharaon, ses serviteurs et son pays entier; ainsi qu'à cette main puissante, et à toutes ces imposantes merveilles, que Moïse accomplit aux yeux de tout Israël. »Le commentaire de Rachi relève l’expression : « imposantes merveilles » et explique :« C’est une allusion au fait que Moïse brisa les tables de la loi, ce dont D-ieu le Félicita »…Ce qui fait dire au Talmud (traité Mena’hot 99b) cette terrible parole :« Parfois, “briser” la Torah c’est en réalité maintenir ses fondations. »

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שרה

photo: Marc Israel Sellem