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Frumette à cheveux longs et idées courtes
29 novembre 2022

L'Utopie, de More à Herzl

 

A_HORA_DANCE_AT_KIBBUTZ_DALIA

NB: Ce devoir est la première partie d'un seul et même travail de recherche universitaire concernant le genre utopique. Pour davantage de confort de lecture je publierai la seconde partie (se concentrant sur l'analyse d'Aline et Valcour du Marquis de Sade) de ce même travail dans un prochain billet.
Pensée particulière à l'un de mes maîtres Elie Kling à qui j'ai beaucoup pensé en rédigeant la fin de ce travail.

 

Les utopies sont des textes de fiction littéraire mais également une façon de philosopher en imaginant une société imaginaire, plus juste et plus heureuse. C'est également un genre qui porte le nom d'une œuvre, celle de Thomas More.
Comment l'utopie permet elle de relier et séparer, philosophie politique et littérature romanesque, réel et imaginaire, passions et raison?
Seront d'abord présentées l'utopie, l'ouvrage fondateur de More, la naissance du genre et son évolution en particulier au XVIIIème siècle. Nous analyserons alors ce que son usage offre d'instabilité générique : en d'autres termes comment l'utopie permet au roman de traiter de philosophie politique et réciproquement, comment les interrogations philosophiques peuvent devenir un outil pour des scenarii romanesques. Enfin en conclusion nous rapporterons un apport personnel quant à l'évolution de ce mode narratif et des rêves et idéaux politiques qu'il porte. Nous n'avons pas la prétention de pouvoir fournir un compte rendu exhaustif mais nous espérons mettre en lumière des aspects essentiels qui nous ont paru particulièrement intéressants.

1. L'Utopie de Thomas More : Plus qu'une expérience de pensée, la naissance d'un genre

En 1516 Thomas More le philosophe anglais humaniste et chancelier du roi Henri VIII publie l'Utopie. C'est un ouvrage rédigé en latin (traduit en français en 1532 par Rabelais) dans lequel il propose un modèle imaginaire de société idéale en opposition à celle de son temps. Son livre deviendra fondateur d'un genre littéraire. L’œuvre en deux parties, est intitulée par un néologisme de son cru, Utopos signifiant ''non lieu''. Il compose d'abord la rédaction de la seconde, description de cette fameuse isle imaginaire de son système politique, de ses mœurs , puis la première partie, critique. Celle-ci lui est conseillée par son ami Veirasse et donne son sens à la description de la société idéale. Elle forme un portrait d'une Angleterre qui va mal mais aussi de l'attitude du philosophe face à cette réalité politique. Puisque le philosophe sait quelle est la meilleure forme de gouvernement pourquoi ne prend il pas un rôle politique? On touche ici au "problème du réel" platonicien que décrit Foucault : dans son étude de la lettre VII de Platon dans laquelle celui-ci risque sa vie jusqu'en Sicile pour convertir le despotique Denys Le Jeune à la philosophie platonicienne . Foucault explique que pour Platon imaginer la cité idéale (et utopie?) n'avait de sens si il refusait, du moins s'il n'essayait pas, par une action concrète de rendre effective cette cité dans le monde réel, de retranscrire son logos par des actes. En essayant de pénétrer de sa philosophie l'esprit du tyran jusqu'à le transformer en philosophe . Laisser le logos à son aspect abstrait eut été vécu par Platon comme une lâcheté intellectuelle personnelle et comme un échec du but de la philosophie, celle çi perdant sa raison d'être en restant contemplative au lieu de devenir "contempl-active" donc réformatrice. La réponse du texte de More est très différente et met en scène de manière satirique l'échec de cette aspiration plus ''utopique'' (nous ne pouvions éviter cette ironie anachronique) que d'en inventer une, d'utopie: pour lui la réalité est si désastreuse que celui qui cherche à transformer la politique dans le sens de la vertu verra ses propos sans effet, mais en sera ''ennuyé'' (euphémisme lorsqu'on sait que More finira exécuté pour s'être opposé au divorce du Roi). Ainsi l'Utopie de More et l'utopie de manière générale n'est pas un modèle réformateur. D'ailleurs le projet de Platon avec Denys le Jeune sera un véritable échec. Le modèle utopique ne cherche pas à l’intérieur de notre propre modèle à remédier au mal politique, celui-ci étant identifié à la propriété privée dans le roman de More. Il en invente un autre, meilleur. Dans lequel la possession individuelle n'existe pas, chose impossible à conceptualiser dans l'esprit de la monarchie anglaise de son siècle. A cela More propose une expérience de pensée : Oui, cette société juste et heureuse est potentiellement possible, du moins on peut l'imaginer et je vais le faire! D'ailleurs ce n'est pas une fiction affirme il dans un clin d’œil ironique à notre égard où il pose la fiction comme déni de la fiction.

2. Les éléments utopiques de l'Utopie

D'ici s'élabore la seconde partie, la description de l'utopie elle même. More le narrateur premier se mettait en scène allant chez son ami Pierre Gilles et passe la parole à Raphaël le narrateur second et aventurier qui va leur raconter son récit de voyage. Le texte également change de nature pour devenir un témoignage descriptif et impersonnel (changements que l'on retrouvera dans la plupart des utopies du XVIIIème siècle). Ce modèle de More servira de canon et ce que nous décrirons çi dessous deviendra lieu-commun qui permet aux lecteurs et lectrices d'identifier immédiatement qu'il lit une utopie (ce qui permet d'ailleurs à l'auteur de ne pas avoir à trop développer en ce sens si la description n'est pas son but) : Le héros (second narrateur) nous raconte un récit de voyage qui l'amène dans un lieu clos et difficile d'accès, une sorte d'autarcie. Les institutions utopiques ont des conséquences idéologiques en déterminant le mode de subjectivation. Ainsi elles ont toutes vocation à éduquer les citoyens. La clôture est aussi bien géographique (île, continent austral, etc) ; sanitaire (on vérifie si les nouveaux arrivants ne sont pas malades) , économique (peu d'échanges extérieurs) et sociale et politique. Mais la description géographique est toujours décrite avant la description institutionnelle (il est d'ailleurs assez amusant de voir comment More joue avec nous en ayant un souci d'exactitude qui contraste ironiquement avec l'absence totale de localisation du lien, ou plutôt du ''non lieu'' (U-topos) Le voyageur découvre une société ''parfaite'' qui lui est décrite lorsqu'il rencontre un personnage ''philosophe'' porteur de sa vision du monde et qui fait l'intermédiaire entre lui et cette communauté et lui explique ce qui deviendra des lieux communs de l'utopie que nous citerons dans ses particularités les plus reconnues: - urbanisme particulier, une structure parfaitement régulière commode, égalitaire et géométrique - nature riche mais cultivée, rationnelle et auto suffisante - égalité politique et sociale (démocratie et dans le cas de More méritocratie démocratique mais sans ''privilèges'') - vie en commun - éloge du travail au profit de la collectivité (tout le monde travaille ce qui permet davantage de loisirs vertueux ( ce n'est aucunement de l'oisiveté) - abolition de la possession ou du besoin de posséder en propre - rationalisation de l'organisation sociale, du travail, de la religion (s'il y a une religion naturelle le dogme et la pensée magique sont absentes) - habillement simple et confortable - abondance des biens qui ne tombe pas dans le luxe - gestion rationnelle des éléments de passions, ces fameux éléments de désordre social (et générique comme nous le verrons plus bas), que sont l'avarice, l’orgueil et la passion amoureuse

3. L'utopie un modèle ambigu qui hérite d'éléments thématiques et formels

L'ouvrage de More donne naissance à toute une littérature qui est reconnue comme double modèle thématique et formel au XVIIème siècle. Avant il est traduit du latin au français par Rabelais en 1532 et deux siècles plus tard en 1710 le terme prend un sens générique avec Leibniz qui l'introduit comme nom commun avec dès le départ une ambiguïté : l'utopie est identifiée comme un genre littéraire (une famille de textes) mais aussi une imagination politique. C'est la dénonciation et l’identification simultanée de la rêverie d'une société meilleure. Et le terme ne s'est jamais vraiment dégagé de son ambiguïté initiale. Il a mis du temps avant de figurer dans l'Encyclopédie puis le terme a également glissé lorsqu'il s'est transformé en adjectif et a pris une connotation un peu négative de description d'une réalité transhistorique hors sol (pour ne pas dire candide). Utopie désigne maintenant un type de thèmes obligés et un type de récits, en d'autres termes il s'agit d'éléments aussi bien formels que thématiques. A noter que l'utopie a été l'objet d'études de divers spécialistes, historiens, philosophes etc. Nous citerons entre autres Trousson et Baczko fondateurs des études utopologiques, Pierre François Moreau, historien de la philosophie et le théoricien de l'utopie Jean Michel Racaul fera (à partir de l'Hitoire des Sévarambes de Veirasse) un travail pour définir le genre utopique. Il mettra l'accent sur:
– le recours à la narration (ce n'est pas un programme abstrait ni la description d'un seul point de vue)
– la description d'un monde imaginaire complet
– le réalisme (une cohérence interne minimum qui l'empêche d'être pure féerie)
– le tableau d'une société rationnellement organisée et justifiée
– un monde construit en réaction aux imperfections du notre
– l'aller retour d'un personnage qui part de notre monde arrive en utopie puis revient ce qui implique des séquences d'entrée et de sortir d'un monde défini comme clos<
Moreau quant à lui identifie trois discours dans les épisodes utopiques (nous ne pourrons malheureusement pas les développer mais citons) :
1) Un discours critique : la dénonciation du monde réel
2) Un discours justificatif (l'explication des conditions auxquelles ce monde idéal est possible et pourquoi il répond mieux à la nature humaine (Il nous paraît intéressant de noter que dans l'épisode anti utopique de Butua (dans Aline et Valcour de Sade) on retrouve aussi cette part justificative lorsque Sarmentio argumente).
3) Un discours descriptif : les éléments sont présentés comme un réel déjà existant qui fonctionne comme un tout.

Nous avons vu qu'il existe une ambiguïté dans la définition même de l'utopie. Nous aimerions maintenant avancer que l'utopie fait office de pont entre littérature et philosophie, entre fiction et description, passions et raison, individu et système. Nous utilisons cette métaphore de pont à dessein : le pont a selon nous, une fonction double et paradoxale: unir bien sûr mais également séparer, du moins mettre en valeur la séparation. Relier des pôles antagonistes, - littérature et philosophie, fiction et description, individu et système sociétal, les passions et la raison - sans renier leur polarité au contraire en les mettant en tension, voilà la double fonction que joue l'utopie au XVIIIème siècle.

4. Les antagonistes constituants le genre utopique

La littérature est faite pour divertir le lecteur ou la lectrice, la philosophie pour les faire penser. C'est du moins ainsi que nous pouvons vulgariser leur fonctions respectives. Et c'est cette franche séparation entre les genres qui régnait en Europe sous monarchie absolue. En mélangeant les deux on risque de perdre deux types de lectorat : celui qui cherche de la philosophie peut se sentir floué par la fiction et cette même fiction par sa nature même lui donne à reconsidérer la philosophie de cette fiction avec scepticisme car irréelle (on peut se demander si le but de la philosophie n'est pas la pensée critique et si en cela l'insertion de fiction dans la pensée ne lui fait pas, ironiquement atteindre son but). A l'inverse le lecteur de roman qui cherche plaisir et dépaysement peut se sentir embarqué malgré lui vers les longues argumentations spéculatives des personnages dont il souhaitait surtout suivre les intrigues.

Mais au XVIIIème siècle surgissent différents bouleversements politiques, sociaux et philosophiques dans la pensée des Lumières (que nous ne pourrons développer ici, nous dirons simplement que la philosophie se fit plus expérimentale) et les genres se réinventent, se mélangent, se font passer l'un pour l'autre parfois: en d'autres termes le roman part ''à l'aventure'' jusqu'au monde parfait (?) et reculé de la pensée spéculative et à l'inverse la libre pensée qu'est la philosophie se renouvelle dans la fiction qui lui laisse totale liberté. Les titres se font le mariage des deux voire s'intitulent parfois ''roman philosophique'' (Aline et Valcour), les personnages de romans se lancent dans de longues argumentations (dans les romans libertins on trouve également des débats entre deux ébats) et les personnages sont souvent eux même des philosophes. L'utopie par son ambiguïté initiale dont elle ne s'est jamais débarrassée (et tant mieux!) a alors l'avantage de convoquer aventures romanesques (il s'agit de faire découvrir par un personnage un monde idéal reculé et isolé) et philosophie politique (apprendre le fonctionnement d'un autre système socio-politique et justifier en quoi il s'accorde avec la nature humaine).
Quels sont les effets de l'une sur l'autre? Sensiblement les mêmes que ceux de la description sur la fiction et réciproquement. La description marque une pause et un ralentissement de l'intrigue romanesque. Alors que l'introduction de péripéties au sein du logos laisse un doute sur la véracité des idées exprimées et accélère le récit et réveille l'attention des lecteurs et lectrices qui auraient pu s'endormir.
Dans l'utopie se joue un double problème à la fois narratif et de cohérence : le personnage qui raconte son voyage et nous fait connaître cette société parfaite doit bien rentrer et sortir de ce lieu fermé (nous avons vu que la fermeture est un marqueur essentiel du genre utopique). Cela oblige à inventer des aventures pour ces fameuse séquences d'entrées et de sorties et donc du romanesque. Et si dans un roman un personnage arrive en utopie il s'agit de décrire (donc de ralentir) au moins un minimum les mœurs et le fonctionnement de cette société pour qu'elle puisse se vanter de ne pas avoir de défauts. Réciproquement se pose un problème de cohérence. Si la société est si parfaite et ne manque de rien pourquoi donc quitter un tel lieu ? La justification de la sortie se doit être justifiée pour ne pas être interprétée comme une remise en question, au moins partielle, de l'utopie (sauf si c'est le but de l'auteur ce qui est souvent le cas. On parlera parfois d'utopie dystopique. C'est ce que fera Prevost avec génie dans Cleveland puisqu'il fera tourner l'utopie au cauchemar à partie de ses propres lieux communs ! ).
C'est ce que souligne Racaul : au XVIIIème siècle le roman est un monde de passions de conflits et de contingence. Alors que l'utopie par définition est un monde statique où rien ne se passe. Il faut donc réintroduire les passions (et l'individu), pour faire redémarrer la narration ce qui pose potentiellement problème pour la cohérence utopique.
Pour Racaul l'utopie est un genre descriptif, différencié donc du roman : ce qui a pour conséquence que dans l'utopie la narration doit être subordonnée et au service de la description (alors que dans un roman la description aussi longues puissent elles être servent la narration).
Il fut intéressant de noter que la part de narration est variable dans les utopies : on peut comparer les deux cas très opposés de deux textes très différents en ce sens : Histoire des Ajaoiens attribué à Fontenelle de manière posthume et Voyages et aventures de Jacques Massé par Simon Tyssot de Patot. Si les deux écrits sont rédigés dans le même contexte intellectuel et s'adressent à un lectorat qui sait reconnaître les ingrédients utopistes précédemment cités. Fontenelle réduit au maximum le romanesque et ne s'évertue pas à renouveler le genre utopique car la fiction n'est pas son but : il cherche à prouver qu'une société athée peut subsister de manière cohérente et classique. Alors que le second ouvrage annonce la couleur dès le titre et privilégie les aventures et péripéties romanesques. Ici l'auteur ne cherche pas à produire une utopie cohérente mais à produire un texte cohérent dans son aspiration à faire réfléchir sur différents sujets de débats. C'est ici le romanesque qui pousse à la réflexion ! A noter que dans ces deux textes les intentions des auteurs ne sont pas parfaitement claires, le rôle de chaque pôle antagoniste est flottant, ambigu. Cela est courant à l'époque et crée non seulement une instabilité générique (exemple les Aventures de Jacques Massé), mais surtout laisse le soin aux lecteur de réfléchir aux questions que le texte soulève. Quand on réintroduit de la fiction dans l'utopie (afin de distraire le lecteur) on réintroduit en même temps une tension entre, d'une part l’ordre rationnel du système, et d'autre part l'individu passionnel. C'est cette tension entre utopie philosophique et la description d'une société rationnelle et utopie romanesque qui est elle même constitutive du genre utopique.

Ainsi Thomas More invente une manière autre de penser la philosophie politique il fonde un genre narratif entre philosophie et littérature, avec des constantes génériques qui essayent de répondre à des questions philosophiques. Le roman du XVIIIème siècle va utiliser ce modèle car cela permet non seulement de continuer le débat public mais également car on aime utiliser la philosophie pour des scenarii romanesques. Que cette utopie fasse ou non l'objet d'une remise en question qu'elle possède une dimension apologétique sceptique et critique ou même parodique c'est toujours elle qui par contraste dessine les contours de notre réel. Elle reste une figure d'altérité politique et philosophique.

 

Conclusion: Israel, une terre doublement utopique, à condition qu'on le veuille.


''Une cité merveilleuse s'étalait sur les bords d'une mer aux flots d'un bleu profond. D'imposantes jetées s'avançaient dans la mer et faisaient ressortir l'importance du port et le signalant comme le plus facile et le plus sûr de la Méditerranée. Des navires de toute taille, de toute espèce, de toute nationalité s'y trouvaient à l'abri. [...] Devant eux [Frédéric et Kingscourt] s'étendait une grande place entourée d'arcades élancées soutenant d'imposantes constructions. Au centre, se trouvait un jardin, planté de palmiers et entouré de grilles. Le palmier, qui est un arbre du pays, faisait l'ornement de toutes les rues qui aboutissaient à cette place et qui toutes en portaient deux rangées en bordure. Ces palmiers, d'ailleurs, avaient une double utilité. Le jour, ils répandaient leur ombre et la nuit la lumière tombait des lampes électriques suspendues à leurs branches comme de gros fruits de verre. Haïfa, devenue une grande ville moderne, aux larges avenues, aux nombreuses banques est peuplée de nationalités multiples.(...) ''
Theodore Herzl, Extrait de Altneuland (Terre ancienne, terre nouvelle.)


A titre personnel j'ai été surprise en étudiant les lieux communs de l'utopie (que je ne connaissais pas) de retrouver quelque chose que je connais: les principes fondateurs du kibboutz israélien en particulier lors des premières décennies de l'état : absence de propriété (et de vie) privées, collectivité, parfois des enfants élevés en collectivité et non pas dans la sphère familiale, la fermeture du système, l'éloge du travail en particulier le travail de la terre pour toutes et tous, un nouveau modèle politique et social visant à l'égalité, des vêtements simples et confortables (les fameuses sandales et pantalons courts perdurent jusqu'à aujourd'hui), une nature cultivée, une langue nouvelle (pour l'époque) et parfois de nouveaux noms. Ajoutez à ceci l'aspect quasi-féerique que peut avoir de revenir en terre d’Israël après 2000 ans d'exil etc : bref en tant qu'israélienne tous ces éléments du genre littéraire utopique m'étaient non seulement et depuis longtemps forts familiers, mais surtout très concrets, matériels et réels, en d'autres termes à dire pas du tout utopiques.
De plus il est intéressant de constater que cette société ''idéale'' de kibboutz fut crée sur le modèle de l'ouvrage d'Hertzl (fondateur du sionisme politique): Altneuland, Terre ancienne, Terre nouvelle (1902). Ce texte d'Hertzl est un texte utopique qui en reprend les codes et les lieux communs (voir extraits et liens). « Si vous le voulez, ce ne sera pas un rêve » est l'un des slogans les plus connus du monde juif et il est tiré directement de cet ouvrage.
A noter que les kibbutzim d'il y a quelques décennies sont devenus très rares, et le modèle collectif a beaucoup évolué vers quelque chose qui ne ressemble plus à l'utopie de l'époque. Est ce le signe que toute utopie, même réelle reste éphémère donc utopique? Je me garderai de tirer une interprétation et encore moins une conclusion. Je souhaite simplement apporter un témoignage tout personnel, et surtout ma surprise en étudiant ce séminaire sur l'utopie de reconnaître des éléments que je connaissais déjà du monde bien réel, mais que j'ignorais être des marqueurs utopiques ; et qui s'avèrent avoir été construits sur un ouvragefondateur du sionisme que je connaissais certes un peu, mais que je ne savais pas non plus appartenir au genre utopique.

Edit: Pourtant malgré les difficultés et désillusions de l'Israel moderne il est toujours impressionnant pour moi de constater que la réalité quotidienne contient également une part d'utopie, une utopie contenue au sein même de ses plus grands troubles et imperfections. Simplement que tous les enfants et descendants d'Avraham y vivent quand bien même ils s'y affrontent dans des épisodes qui ne sont pas moins sanglants que ceux de leurs ancêtres, Yitshak, Ishmael, Israel, Essav. Cette coexistence forcée mais bien réelle, en dépit et par delà sa violence, constitue également une forme d'utopie, celle de l'histoire biblique, histoire romanesque, merveilleuse et monstrueuse à la fois, faite également de déchirures de sang et de larmes. Ou plus simplement il suffit pour croire que tout cela n'est pas un rêve, d'assister à la réalisation concrète de prophéties contenues dans des livres vieux de deux mille ans qui prédisaient que cette terre aride et obstinément infertile depuis des siècles redonnerait des fleurs et des fruits, chose qui paraissait impossible à envisager il y a 100 ans de cela. Ou encore de cette autre prophétie qui annoncait, qu'un jour, peut être dans des siècles, peut être après des millénaires, mais un jour oui les juifs dispersés dans le monde entier, reviendraient sur leur terre et y rebâtiraient un pays. La réalisation de ce qui apparaissait pour nos ancêtres comme un conte naif pour enfants, force une humilité à avoir en ce qui concerne l'utopie.

J'ajouterai encore que les textes juifs de notre tradition, des prophètes bien sûr mais aussi de la gemara décrivent la terre d'Israel comme un pays miraculeux, où coulent le lait et le miel (Exode 3;8), et dont les fruits et les bienfaits sont littéralement démesurés. Les trois dernières pages du traité Ketoubot vont dans ce sens et proposent une magnifique déclaration d'amour pour Eretz Israel, décrit comme un pays magique, presque surnaturel, une véritable utopie! Dans son étude quotidienne d'une page de gemara par jour mon amie Myriam Ackermann Sommer explique dans son podcast que la toute dernière page de ce traité met l'accent sur le fait que c'est l'effort qui rend la terre si belle et luxuriante, que Eretz Israel est ce qu'on en fait.
Il est intéressant de mettre en parallèle la description utopique (au sens commu du terme) que proposent d'Eretz Israel les sages du Talmud, avec la vision utopique (cette fois au sens générique du terme) d'un état juif décrite dans l'ouvrage Altneuland quelques deux mille ans plus tard. Au fond, à quelques deux mille ans d'intervalle, la gemara et Hertzl disent peut être la même chose: Israel est, du moins a le potentiel d'être, une véritable utopie, il est ce que l'on veut en faire. Et "si nous le voulons alors cela ne sera pas un rêve."

podcast Myriam: https://on.soundcloud.com/aF555

A_HORA_DANCE_AT_KIBBUTZ_DALIA._ריקוד_ההורה_בקיבוץ_דליה.D827-025

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