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Frumette à cheveux longs et idées courtes
6 octobre 2022

Sartre, les "salauds" et Yom Kippour

 

 

 

Et si le "salaud" était celui qui ne répondait à aucun ayeka? Petite réfléxion post grand pardon

 

Lors de l'office de Kipour, à chaque Amida, je bloquais avec certains passages de la tefila, prière. Lorsque je les lisais je me mettais à la place de victimes de viol qui y seraient confrontés, je pensais à certaines de mes amies, je pensais aux enfants de D. Ambash, aux victimes de Walder, etc. Et à leurs agresseurs.
Lorsque je lisais notament le passage וְצָרִיךְ הָיִיתִי לומַר שׁוּב לא אֶעֱשֶׂה, לוּלֵא כִּי יָגרְתִּי מֵהַיֵּצֶר הָרָע כִּי הוּא מֵאֵשׁ וַאֲנִי בָּשָׂר וָדָם וְלא אוּכַל לו, וְאָז הָיִיתִי מוסִיף עַל חַטָּאתִי פֶּשַׁע j'imaginais alors comment ce texte pouvait résonner dans la tête des Walder, Berland, Ambach, Abittan, et autres "salauds" au sens sartrien du terme.
Le salaud, caractérisé par l'importance sociale, la mauvaise foi et l'esprit de sérieux est défini dans la Nausée comme "celui qui, pour justifier son existence, feint d’ignorer la liberté et la contingence qui le caractérisent essentiellement en tant qu’homme".
En d'autres termes le salaud est celui qui ne répond à aucun Ayeka. Il jouit de la totale liberté sartrienne mais sans l'assumer existentiellement, ce qui impliquerait la responsabilité: il se transforme en caméléon à l'identité éclatée, esclave de ses pulsions en faisant mine que son existence est essentielle (aux sens à la fois courant et essentialiste du terme, ce qui s'oppose à l'existentialisme qu'il feint parallèlement puisqu'il en revendique la totale liberté). Pour Sartre (qui menteur et pédocriminel peut également être considéré comme un salaud selon sa propre définition mais passons), ils constituent constituent une véritable catégorie philosophique.
C'est ce genre de type narcissique à la limite de la mégalomanie, qui déformant les mots d'Épicure dans sa lettre à Menecée se sentent "tel un dieu parmi les hommes" dans le sens où, contrairement aux autres hommes, eux ne limitent pas leur propre liberté au respect d'autrui. *" Cet individu qui “pense être né-pour-quelque chose” croit son existence nécessaire à la marche du monde : il se distingue du lâche par l’importance qu’il se donne. Le salaud, c’est celui qui croit être dans son bon droit et qui agit dans son intérêt quitte à nuire à la liberté d’autrui : “C’est un égoïste qui a bonne conscience”.
Ce que Sartre définit par salaud sont donc les personnages (et non personnes puisque ces individus narcissiques à l'excès n'ont pas de Moi propre), qui s'adaptent instinctivement et immédiatement à la situation ou à la personne en face, afin d'en tirer le meilleur profit, à court ou long terme. Ils sont en constante représentation, présentent constamment une nouvelle version d'eux mêmes, celle qui au moment T leur permettra d'assouvir leur intérêt propre, souvent très sale. Ils ne respectent que la loi de leur propre plaisir. La seule limite qu'ils mettent autour de celui-ci, est celle qui leur permet de ne pas se faire démasquer, de ne pas se faire prendre, au jeu de leur absence de Je. De par leur capacité d'adaptation hors sur commun ces personnes savent donc parfaitement et à chaque instant, "qui" elles doivent jouer, pour parvenir à leur faim. Ce faisant leur identité disparaît complètement, décimée sous la multitude de leurs masques.
En d'autres termes en jouant constamment des rôles, rôles au service d'un nouveau "projet" égocentré, le salaud sartrien éclate son Moi jusqu'à le perdre. Il croit pourtant, comme en témoignaent les mots de F. Pessoa, rester le possesseur de son individualité, puisque nul ne connaît son inauthencité. Mais lui même ne connaît plus sa véritable identité: elle n'a plus aucun socle viable et il n'en est plus maître. Lorsque l'on enlève tous ses masques, il ne reste plus de véritable visage. Et plus aucune réponse à l'Ayeka originel.
Si cette philosophie est un peu trop abstraite après un jour de jeûne, pensez à Voldemort, le grand méchant dans Harry Potter, qui scinde son âme pour insérer chaque partie dans différentes horcruxes. Mais qui voit la dernière partie de cette âme, la partie restée dans son corps, trop faible pour le garder en vie.
Pour les adeptes du MBTI, on peut dire que leur fonction cognitive Fi est atteinte d'un véritable handicap mental.
Bref le salaud est un génie de l'adaptation mais tel un comédien à vie, il en a perdu toute capacité d'introspection et de conscience de lui même. Sa réelle identité ayant été dénissimée dans ses je(ux) de rôle devenus son habitude et sa nature.
*"Le salaud c'est celui qui se croit, qui se prend au sérieux, celui qui oublie sa propre contingence, sa propre responsabilité, sa propre liberté, celui qui est persuadé de son bon droit, de sa bonne foi, et c’est la définition même, pour Sartre, de la mauvaise. Le salaud, au fond, c’est celui qui se prend pour Dieu (l’amour en moins)". Et qui en joue, s'amuse publiquement de ses duperies, en joue aux yeux de tous et surtout des siens puisqu'il jouit d'être spectateur de propre son je(u). Ses pitreries de façade ne sont qu'un artifice derrière lequel il cache combien il se prend au sérieux.
Il pourra même, jouer le discours existentiel en affirmant publiquement que la seule fatalité réside dans l'abandon des responsabilités, tout en considérant intimement l'inauthenticité de son existence mensongère comme une nécessité existentielle. Et y croire sincèrement, devenant ainsi l'ironie de sa propre ironie.
Bref à chaque Amida c'est à cela que je pensais à certains passages (je ne sais pas si cela est considéré comme un manque ou un trop plein de kavana, j'espère être jugée avec le kaf Zhout). Je me disais que le passage cité plus haut était, non pas de manière objective mais dans la tête d'un "salaud", la meilleure justification de son usage déformé de la liberté, et de son existence entre poussière et divinité, -la première justifiant la seconde et réciproquement-, existence sans aucune autre forme d'altérité donc du respect de cette altérité.
Ces mots de la Amida, dans l'esprit esprit narcissique et auto-axiomatique de ces (non-)êtres, renforcent peut-être leur sentiment d'impunité et de bon droit. Car pour eux, toujours en représentation c'est, de par la conscience même de n'être que poussière!, qu'ils se prennent pour des dieux au milieu des hommes. Dans les mots de Sartre cela signifie "refuser la quête de l'être parce-qu'(ils ne sont) jamais rien" (Cahiers pour une morale). Au delà de leur crimes, la médiocrité existentielle de ces personnages, me révulse de déception. Car au regard de leurs midot ces Walder et compagnie auraient pu être de vrais grands. Et cette médiocrité pleine de tarufferies rend leur existence déception existentielle.
À ces moments là je pensais à la magnifique et providentielle lettre de Rav Madan de la yeshiva d'Har Etsion (*lien en commentaire) lettre qui exclut les criminels de leurs offices. Qui rappelle que non, lorsque l'on ne répond pas de ses actes face à la justice humaine (par exemple en se suicidant comme Walder, ou en n'ayant pas le courage d'assumer les accusations judiciaires ou médiatiques à leur encontre, quand bien même elles seraient privées) il n'y a pas de pardon du Ribono shel Olam valable. Qui rappelle que le judaïsme et son principe de Techouva sont à la frontière entre existentialisme et essentialisme, dans un va et vient dialectique constant. Que l'on répond aux humains avant de répondre à D..Que pour certains actes criminels on ne peut pas et on ne pourra jamais prier "face à mes instincts pervers je ne suis que chair et sang et je ne puis pas ne pas recommencer".
A la Neïla, après la cinquième Amida où je récitais ce passage, au moment de la sonnerie du shofar je me suis rapprochée de Malka Pieterkovsky*, echet alacha, talmidat hahamim hahama, et cofondatrice notamment notamment du Forum Takana. Une femme que j'admire énormément et dont les mérites n'ont d'égal que sa gentillesse. Comme à son habitude elle m'a prise dans ses bras lorsqu'elle m'a vue. Et là j'ai pu entendre la tekiya gedola. Au moment où les portes du ciel étaient ouvertes je savais que pour certains elles resteraient fermées tant qu'ils ne répondraient pas de leurs actes sur terre. Tant qu'ils n'assumeraient pas la fausseté à la fois de leur existentialisme et de leur existence.
*Cet article m'a été inspiré par ce post Instagram de La revue philosophique dont voici un extrait
"Si au sens courant du terme un salaud est une personne méprisable et dénuée de toute moralité, ce qui fait défaut aux salauds chez Sartre, c’est la lucidité et le courage d’assumer l’arbitraire de leur existence.
Il n’existe aucune occurrence du mot salaud dans L’Être et le Néant. Ce terme apparaît pour la première fois dans La Nausée. Et c’est dans L’existentialisme est un humanisme que Sartre distingue deux types d’hommes : ceux qui se cachent leur liberté totale par l’esprit de sérieux en pensant que les valeurs morales préexistent à l’homme ou par des excuses déterministes sont des lâches ; ceux qui se cachent la contingence même de l’apparition de l’homme sur terre sont des salauds. Recourant à des “stratégies de déni de responsabilité” ils sont tous deux de mauvaise foi. Le salaud nie sa liberté, mais d’une autre façon que le lâche en disant : mon acte était nécessaire.
On peut alors caractériser le salaud suivant trois critères : l’importance sociale, l’esprit de sérieux et la mauvaise foi. Il se définit par l’ensemble des droits et des devoirs qui justifient son existence, la négation de toute subjectivité au profit d’un ordre des choses objectif et le mensonge à soi. Cet individu qui “pense être né-pour-quelque chose” croit son existence nécessaire à la marche du monde : il se distingue du lâche par l’importance qu’il se donne. Le salaud, c’est celui qui croit être dans son bon droit et qui agit dans son intérêt quitte à nuire à la liberté d’autrui : “C’est un égoïste qui a bonne conscience”.
Auteur: Lolita Folliot @lolita.folliot
Lettre du Rav Madan, Roch Yeshiva de Har Etsion https://www.inn.co.il/news/504457
Malka Pieterkovsky. A voir. https://youtu.be/UkeHuvlZOv0

*https://www.philomag.com/articles/pourquoi-sommes-nous-fascines-par-les-arnaqueurs

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