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Frumette à cheveux longs et idées courtes
24 août 2022

Témoignage. Le récit d'un shabat raté. Partie 2: décharge mentale

Photo prise ce jour là à "tmol shilshom"

Photo prise ce jour là, à "Tmol Shilshom"

 Partie 2: Décharge mentale

Lors d'un précédent billet Partie 1: Face au mur, au bas de l'échelle.  j'ai raconté ce qui a conduit à ce que je choisisse de ne plus prier dans la plupart des synagogues. Cet évènement vieux de plusieurs années s'était passé lors d'un shabat que je passais avec un homme que je rencontrais à l'époque. J'aimerais partager une autre anecdote, concernant la charge mentale. Cela eût lieu avec la même personne, le même Shabat, shabbat que l'on peut qualifier de définitivement raté.


A l’époque je rencontrais quelqu’un. C’était une personne pratiquante, très instruite, érudite en Torah, tout en ayant un discours et un comportement très féministe, du moins en apparence. Il avait donc tout pour me plaire. Nous nous étions déjà vus plusieurs fois et avions prévu de nous voir shabbat à Jérusalem. Il arrivait de chez ses parents qui vivaient en bord de mer. C'était assez loin et il venait spécialement pour me voir. Nous avions trouvé où dormir à Jérusalem (il avait un ami qui avait la gentillesse de nous acceuillir) et nous voulions manger et de prier juste tous les deux. En gros passer un Shabat ensemble pour la première fois.

En bonne petite froumette j'avais déjà commencé à envisager de pétrir des hallot, cuisiner une salade cuite, un kougel, etc etc. Puisque j'habitais pas loin je pouvais cuisiner et emporter le tout. Mais il m'avait dit qu'il avait une idée : il allait chercher un hôtel qui voudrait bien nous accueillir seulement pour les repas (sans le couchage). Et que je ne devais m'occuper de rien, qu'il allait gérer et s'occuper de la question repas. Bon. 

Étant prévoyante et ne sachant quel genre d'hotel il allait bien pouvoir trouver qui accepte des clients pour le seul repas, j'avais malgré tout emporté un napperon de Shabat pour motzi, un joli verre de kidoush et d'autres petits détails qui permettent d'avoir une ambiance de Shabat (au cas où). Le vendredi midi je l'invite à Tmol Shimshon, mon café préféré à Jérusalem, celui avec les bibliothèques, les intellos hippies et les fauteuils à l'ancienne. (Au passage il est resté tout le repas vissé sur son smartphone. C'était la première fois qu'il faisait ça, j'étais surprise, blessée et j'avais trouvé cela irrespectueux, et ... assez mauvais signe).
À la fin du repas il songe enfin (!) à chercher un endroit où nous pourrions manger le soir (je commençais à m'inquièter). Mais il était très optimiste et pensait trouver facilement. Personnellement la possibilité de trouver facilement un lieu pour le couvert uniquement, de surplus  en appelant un vendredi après-midi, m'apparaissait assez compliquée quoique possible. Mais comme il m'a assuré qu'il allait lui gérer les repas et que je ne devais m'occuper de rien je voulais le laisser lui trouver une solution et assumer les conséquences de s'y prendre au dernier moment. Évidemment il ne trouva aucun hôtel qui un vendredi voulait bien nous accueillir sans passer la nuit. Au dernier moment nous avons acheté en catastrophe 2 petits pains et 2 houmouss dans l'une des dernières supérettes encore ouvertes (qui ferment tôt le vendredi). Ce fût un repas de Shabat extrêmement frugal. Les seuls objets de Shabat présents furent ceux que j'avais emmenés "au cas où", alors que je n'aurais même pas dû, puisque ça aurait dû être à lui, de prévoir ces "au cas où".
Je ne lui fit pas de reproche. Ça n'aurait servi à rien à ce moment là, et nous n'avions que ce Shabat ensemble. Certes le vendredi soir nous avons un peu chanté. Mais le lendemain midi nous étions en plein désaccord sur la fameuse mehitza et la question de la voir ou de ne pas la voir. (Voir partie 1).

Pourquoi est ce que je raconte cette vieille anecdote? Parce qu'elle m'a posé un dilemme que je ne sais toujours pas résoudre, un dilemme du quotidien que je sais commun à nombreux de femmes mariées, un dilemme qui paraît trivial mais qui ne l'est pas et auquel j'aurais été certainement confrontée toute ma vie, si je l'avais passée avec lui. 

D'un côté (et même si je sentais d'avance que l'on allait se retrouver bredouille) je pense que j'ai bien fait de ne pas gérer à sa place la question du repas dont il était responsable. Si je l'avais fait cela aurait pu créer une petite dispute et il aurait pu me reprocher à raison de l'infantiliser et de ne pas lui faire confiance. J'aurais également été malgré moi dans un rôle de supervision, de gestion presque maternelle. Rôle que je ne veux certainement pas avoir dans une relation amoureuse et de potentielle conjugalité, conjugalité que j'envisage équilibrée sur la question de la gestion domestique. Si j'avais "sauvé" le shabat en prévoyant des solutions de rechange, il aurait appris, même de manière inconsciente, que si il faisait mal(e) les choses, une femme (moi en l'occurrence) le ferait à sa place. Subir les conséquences de sa mauvaise gestion (nous avons mangé une demi Halla et un demi houmouss partagés en 2 repas) ça avait au moins l'avantage que si il y avait eu une autre fois, il s'y serait mieux pris. Ce qui ne serait jamais été le cas si j'avais prévu une solution de secours. Tout cela me conforte rationnellement dans ma décision de l'avoir laisser gérer (ou ne pas gérer) le repas, alors même que je sentais que nous allions nous trouver embêtés.

Il n'empêche. Non seulement j'ai moi aussi subi la conséquence (certes pas très grave) de manger un repas frugal (alors que c'est son erreur et non la mienne). Mais surtout et avant tout, j'avais été attristée de n'avoir pu passer de vrai repas de Shabat avec lui. À qui la faute, était un élément négligeable et ne changeait pas cette factualité:  Il vivait loin de Jérusalem, on se voyait peu et on avait encore moins l'occasion de passer un Shabat ensemble à Jérusalem, avec une solution pour dormir. Quand j'y ai repensé quelques jours après je me suis dit que j'aurais été plus heureuse et passé un meilleur Shahar si j'avais tout prévu malgré tout. Certes cela aurait été injuste : il était aussi adulte que moi et il aurait dû assumer la responsabilité du Shabat qu'il avait pris responsabilité de gérer. (Et de par son travail il savait parfaitement gérer d'avance les événements qui avaient une importance à ses yeux). Mais malgré la frustration et l'agacement légitimes que j'aurais certainement ressentis, à ce moment là j'aurais oui préféré passer avec lui un "vrai" Shabat avec ambiance de shabat, plutôt que de partager à deux un petit pain et du houmouss achetés en catastrophe.

De l'autre côté si je l'avais fait parce que pour moi c'est important alors cela aurait conduit à une dynamique conjugale asymétrique bien que socialement encouragée, et très difficile à contrer, encore plus lorsque l'on est juive pratiquante. A titre exceptionnel, dans le cadre d'une "date" j'aurais effectivement préféré passer un Shabat que j'aurais géré, mais apprécié. Mais au quotidien, dans une vie conjugale, j'aurais préfèré manger du pain et du houmous plutôt que ressentir l'injustice d'une charge mentale déséquilibrée

Et là se trouve une question, un dilemme, un potentiel vecteur de disputes quotidiennes auquel je n'ai pas de réponses. C'est une problèmatique quotidienne:

Faire à la place de notre conjoint la lessive/le ménage/les courses que notre conjoint aurait du faire? Parce-qu'on sait qu'il (ou nous même) aura besoin de chemise propre, ou de produits et que le faire à sa place apporte des avantages immédiats. Mais sachant aussi que le faire à sa place ne résoudra pas le problème à long terme, au contraire. 

Ou alors le contraire ne pas gérer à sa place. Lui laisser assumer si il ne le fait pas. Sachant que cela engendrera également des conséquences déplaisantes, logistiques et conjugales. Comment sortir de cette tension entre colère refoulée, frustration assumée? 

 Je sais aussi que cette question est d'autant plus présente et d'autant plus invivable lorsque des enfants entrent dans l'équation. Car ici les conséquences sont sur nous 2, adultes, seulement. Certes ce n'est pas agréable pour moi de subir les conséquences de la mauvaise gestion de ce dont quelqu'un d'autre était responsable. Mais je choisis en toute conscience (et en tout agacement) de ne pas gérer à sa place. Mais si les conséquences sont également subies par des enfants alors le calcul n'est plus le même. Ce n'est pas juste qu'un enfants de 4 ou 5 ans n'ait rien à manger de tout Shabat parce-que son père n'a pas été responsable et que sa mère a, même légitimement, refusé d'assumer à sa place. 

Ainsi à partir du moments où on devient parents, nombre de femmes se mettent à davantage assumer ou superviser les tâches de leur conjoint, afin de parer à toute conséquence sur les enfants. Et plus elles le font et plus leur homme prend l'habitude inconsciente (dans le meilleur des cas) que si ils font mal alors ce sera sans grande conséquence car leur femme assumera derrière. Quand je m'étais demandé ce que j'aurais fait si c'était à refaire (sauver et profiter le shabat ou le laisser gérer (ou pas) le repas, je ne savais pas ce que j'aurai préféré. Je n'ai pas de solution à cette problématique. Et pourtant j'ai lu les excellents Libérées de Titiou Lecoq, j'ai lu Fallait demander d'EmmaClit, j'ai lu Homme Sweet Homme de Tiffany Copoer. Je souhaite implement partager cette annecdote qui je crois parlea à beaucoup de femmes (et j'espère à beaucoup d'hommes). Entre la charge mentale et la mehitza invisible ce shabat fût définitivement raté. Mais j'ai été soulagée de ne pas avoir eu à gérer cette problématique quotidienne avec cet homme. 

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