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Frumette à cheveux longs et idées courtes
22 avril 2020

Vérité et modernité: Les faits doivent ils être établis?

équilibre

Introduction

"Les faits sont là! " clame t'on d'un ton triomphant. La notion du fait tient souvent lieu d'argument d'autorité dans un débat opposant deux sujets, ou idées, interprétations, en venant enfin apporter la preuve irréfutable car réaliste par excellence. Est-ce le bon sens; l'observation empirique ou bien l'établissement formel des faits qui leur donne une valeur? Qu'est ce qui "fait" que je puis affirmer qu'il y a un cheval blanc en face de moi? Est-ce le fait de voir la robe blanche du cheval c’est-à-dire d'observer le réel ? Pourtant dans le monde hippique pour qu'un cheval soit considéré comme blanc, pour que sa couleur soit établie comme un fait avéré, il est obligatoire que sa peau soit rose et non grise, ce qui n'est pas le cas de la grande majorité des chevaux dits "blancs".
Est-ce le bon sens; l'observation empirique ou bien l'établissement formel des faits qui leur donne valeur de vérité? Peut on établir les faits et si oui en quoi constituerait le devoir, si devoir y a-t-il d'établir les faits?
Avant de tenter de répondre nous nous pencherons tout d'abord sur chacun des termes de notre problématique pour examiner les questions que chacun d'eux soulève. Ensuite nous étudierons en quoi l'observation empirique des faits constitue une rupture avec la modernité et quels sont ses écueils. Puis nous analyserons la solution que propose le relativisme sceptique ainsi que ses limites. Enfin nous prendrons parti et nous expliquerons pourquoi il est de notre devoir d'établir les faits même de manière imparfaite constitue un triple devoir scientifique, éthique et philosophique

I/ Etude préalable

Tout d'abord rappelons ce qu'est un "fait": Un fait est un élément de la réalité objective, il est par définition lié au réel et est opposé à l'interprétation, l'imagination. Ce n'est donc ni un concept, ni une représentation mais une réalité qui existe et qui est vraie, indépendamment de l'attention qu'on lui porte. Remarquons que le terme est au pluriel "Pourquoi les faits (…)". Il y a donc plusieurs faits qui doivent, ou non, être établis. Le caractère absolu du singulier (auquel nous aurions pu nous attendre en parlant de quelque chose qui devrait être "objectif) est absent et l'emploi du pluriel nous conduit à interroger l'importance de la multiplicité des faits. Deux éléments d'une même réalité objective, d'une vérités, peuvent ils se contredire?
Qu'est ce qu'"établir" quelque chose? Nous établissons quelque chose, une vérité, un fait quand nous le démontrons comme valable, c’est-à-dire que nous produisons un raisonnement, des arguments des preuves donc un produit de la connaissance pour démontrer une vérité qui puisse s'appuyer sur une argumentation stable. Etablir c'est reconnaître de manière formelle quelque chose comme vrai et non pas simplement l'observer.
Pourquoi devrions nous faire apparaître comme vrai ce qui l'est déjà, puisqu'un fait est un élément de la réalité objective?
Soulignons l'emploi de la forme passive "être établis". Par qui? De toute évidence il est sous-entendu qu'ils ne s'établissent pas tous seuls mais que quelqu'un ou quelque chose doit les établir? Qui est chargé de cette responsabilité ? Est-ce l'Etat, la Justice, les citoyens, les médias?
"Devraient ils". Nous pouvons interpréter ce terme comme le devoir au sens strict Dans ce cas il s'agit d'une responsabilité, d'un engagement moral. Qui est chargé de cette responsabilité? En quoi l'établissement de la vérité est elle un devoir? Ou bien peut être s'agit il d'un besoin impliquant le devoir, une nécessité? S'agirait il d'une nécessité sociale? Ethique? Soulignons également l'emploi non du pas du (subjonctif) présent "pourquoi les faits doivent ils être établis?" mais du conditionnel impliquant une interrogation, une incertitude et l'exigence de la réflexion.
Cette incertitude est renforcée par le premier mot de notre problématique "pourquoi". Le ton est surpris, la contestation implicite, et appelant une explication impérative
Il ne nous est pas demandé si "les faits devraient (ils) être établis?" mais "pourquoi ("donc" entend on presque) devraient ils l'être?". Pourquoi cette double insistance du "pourquoi" et du conditionnel pour appuyer la nécessité d'apporter des raisons valables. Si nous considérons qu'un fait est par nature établi, que son essence même est la vérité factuelle nous pouvons également nous demander si cette problématique n'est pas un pléonasme. Pourquoi établir quelque chose qui l'est par lui-même?
D'une manière presque ironique il nous est demandé de prouver, d'établir ce fait, cette vérité que les faits devraient être établis et de prouver le bien fondé même de la question que l'on pourrait reformuler ainsi:
Quelles sont les raisons qui nous octroieraient le devoir de démontrer par une argumentation stable la véracité d'éléments d'une réalité objective? Qu'adviendrait il si nous n'établissions pas les faits ou si nous les laissions s'établir d'eux-mêmes?

I) L'observation empirique ou établir par nous-mêmes seulement

Nous pouvons choisir de laisser les faits s'établir d'eux-mêmes puisque un fait n'aurait, par définition besoin d'aucune intervention pour s'établir. Il est. Et cette simple affirmation contient par là même la véracité de son établissement. Si le fait est qu'il y a sir mon bureau une page numérotée 6 que je le croie ou non que je le démontre ou pas elle reste sur ma table, indépendamment de tout raisonnement rationnel ou interprétation.
Il s'agit d'une observation empirique. Une expérience sensible existe nous interprétons celle çi, cherchons à l'expliquer par nous-mêmes. Nous observons des faits déjà établis par définition puisqu'éléments d'une réalité objective et nous cherchons à les comprendre par notre intelligence rationnelle et non par croyance ou tradition qui établiraient des faits de manière arbitraire et de manière inintelligibles pour la rationalité humaine. A l'époque des Lumières cette observation des faits et l'usage de la raison pose une véritable rupture à ce qui précédait. Cette capacité à ne "puiser sa normativité qu'en elle-même"(Habermas, "Le Discours philosophique de la modernité") comporte en fait une triple opposition: tout d'abord un refus de la Révélation : l'aspect transcendant de la religion et des croyances est renié au profit du raisonnement humain et immanent; ensuite un refus de l’autorité traditionnelle : la vérité est acquise au présent par une recherche perpétuelle de la connaissance et non plus transmise par une autorité passée ; enfin un refus de la contemplation : le savoir est un processus, par définition en mouvement, et non plus la contemplation statique d'un déjà donné .
Pour E. Kant il est question de penser par soi même et de sortir "de son incapacité de se servir de son entendement sans la direction d'autrui". Il s'agit d'un manque de courage (et non d'entendement) qu'il convient au temps des Lumières de surmonter en ayant "le courage de se servir de son propre raisonnement" ("Sapere aude") selon cet adage extrait de son essai "Qu'est ce que les Lumières?". Cette modernité se revendique donc indépendante: elle tire d'elle-même, par sa capacité à raisonner ses propres normes, et se pose ainsi en rupture avec son passé. Nous soulignerons deux principaux dangers auxquels l'observation empirique des faits et peut conduire: Le refus d'intégrer "l'échec fondateur" dans l'élaboration de la connaissance et la dissolution de la vérité qui conduit au relativisme sceptique.


L'écueil de l'observation empirique
En créant soi même sa propre normativité et en créant ainsi une sorte d'autarcie de la pensée la modernité se pose en rupture avec les enseignements passé, les échecs passés et tout ce qui a ainsi précédé l'établissement du processus de connaissance indépendant. Dans son ouvrage "A la gauche du seigneur ou l'illusion idéologique, la philosophe E.Amado-Lévy-Valensi, dénonce : "On ne recommence pas la connaissance, on ne recommence pas l'histoire, pas plus qu'on ne refait sa vie à l'échelle individuelle. Mais parfois on peut la continuer en l'assumant. L'échec peut être vécu comme "échec fondateur" à partir du moment où en saisit le sens. (…) Il faut avancer avec son histoire, son poids, son sens. L'erreur du christianisme a consisté à recommencer à compter après J.C. au lieu d'assumer les générations dont lui-même se réclame. Les soldats de l'an II ont pris la relève. Et plus tard Mao. Ces cercles sont concomitants des écueils idéologiques: abstractions, temps tronqués font partie d'une même structure mentale qui consiste à simplifier les choses, le passé, l'inconscient, la mémoire, jusqu'à ce qu'ils soient supportables."
Ne "puiser sa normativité qu'en elle-même" pour reprendre les termes Habermas dans "Le Discours philosophique de la modernité" en rejetant le chemin et les traditions ainsi que les écueils ayant mené à cette modernité peut ainsi conduire à une simplification du réel, une demi-vérité qui perd alors son caractère même de réel, son essence même. "Ne pouvant compter que sur elle-même" elle devient "irritable" et cherche "à se fixer sur elle-même" au risque d'en devenir inexacte ou intolérante et mener vers "écueil idéologique".
Le violet est une couleur constituée d'un mélange égal de bleu et de rouge. Du point de vue du bleu le rouge sera donc un bleu très faible, et le violet un bleu moyen. Cela fonctionne un temps. Mais advient le moment où nous découvrons le vert (composé de bleu et de jaune et qui est différent de ce que nous connaissons, mais inexplicable du point de vue de l'expérience de ce bleu) et nous remplaçons notre vérité pour une autre, un bleu pour un autre, en tenant l'observation empirique précédente comme fausse au lieu de l'intégrer dans le spectre des couleurs et de la pensée.
A partir du moment où un élément n'est plus tenu pour vrai alors s'en débarrasser pour une autre devient une nécessité. Nous partons d'une observation que l'on tient pour vraie du point de vue de notre expérience et nous cherchons à expliquer rationnellement ce phénomène qui n'est que témoin objectif de notre propre subjectivité.#
Transition:
Ce "capitalisme des vérités" où les faits s'établissent d'eux et par eux-mêmes et qui, pour ne pas se contredirent, se remplacent; peut conduire vers un relativisme où la vérité, dissoute face à la multitude des faits, n'existe plus.

 

II) Le relativisme :renoncer à établir les faits

2/ Le caractère provisoire des faits à établir (et non pas du fait comme nous l'avons précédemment souligné), leur pluralité même ainsi que le processus multi directionnel de la recherche conduisent à la relativisation, de la vérité et des éléments de la réalité considérée comme "objective" c’est-à-dire des faits.
Je peux concevoir que ce qui m'apparaît "fait" comme un 6 sur la page devant moi est peut être un 9 et que la page serait à l'envers et que les deux points de vue sont vrais. De même ne pouvant pas trouver de bleu absolu ou de rouge absolu nous pouvons considérer que tout est violet. Le bleu et le rouge ne seraient que des perceptions d'un œil humain qui chercherait à étiqueter et séparer des éléments d'un seul et même ensemble violet.
Non par scepticisme provocateur ou par goût de l'absurde mais par recherche de cohérence ou à défaut d'absence d'incohérence et amour de la parrêsia (du grec parrêsia "tout dire") Socrate avait l'habitude d'interroger à sa manière (maïeutique) les gens sur ce qu'ils tenaient pour vrai pour les mettre en face de leurs contradictions. Il avait le courage non pas de La Vérité (à laquelle il ne prétendait nullement), mais celle d’avouer "je sais que je ne sais rien" : mieux vaut ne rien établir plutôt que d'établir de faux faits et des vérités étronquées.
Même dans le monde de la Physique, domaine d'observation empirique s'il en est, les faits ne sauraient être clairement établis: Dans notre référentiel newtonien et gravitationnel une masse devrait être déviée par la gravité puisque selon la plus célèbre formule d'Einstein la masse multipliée par le coefficient c2 équivaut à l'énergie E. Mais cette formule qui fait office de fait s'oppose à un autre, le Principe de Fermat qui affirme que la lumière (qui est une énergie) emprunte toujours le chemin le plus court donc une ligne droite. Un chemin allant toujours tout droit ne devrait pas être dévié. Pour résoudre ce paradoxe entre deux faits contradictoires Einstein appuie sur l'importance du référentiel: ce que nous appelons Gravité est moins une force qui attire comme nous le percevons, mais un phénomène qui déforme l'espace autour de lui. La lumière va donc toujours selon le chemin le plus court (c’est-à-dire selon une ligne droite) mais cette ligne est courbé par la gravité. Ainsi Einstein démontre que la Terre ne tourne pas autour du Soleil mais qu'elle va toujours tout droit dans une ligne droite qui n'est plus droite puisque faisant partie d'un espace courbé par la masse de l'astre solaire.

Cette dissolution de la vérité dans la multiplicité qui la compose, l'afflux d'informations contradictoires nous conduit à penser que tout est vrai ou que rien n'est vrai. Ainsi nous pourrions conclure que la vérité est toute relative de par sa pluralité et qu'aucun fait peut être établi puisqu'il peut aussitôt être démenti. Ce relativisme même peut être mis en cause et, comble de l'ironie, en doute. Tout d'abord de manière purement "logique" : Si l'on dit que rien n'est vrai ou qu'aucun fait ne peut être établi alors l'affirmation même "rien n'est vraie" n'est pas vraie non plus et l'on ne peut pas établir le fait qu'aucun fait ne puisse être établi. Le relativisme se révèle donc auto contradictoire. Mais au-delà de l'aspect purement logique il existe une, voire une triple nécessité (en réponse au triple refus de la modernité) de rétablir un équilibre entre empirisme et relativisme .


III) La nécessité d'établir les faits de manière imparfaite, un triple devoir

1/ Tout d'abord un devoir scientifique et ontologique:

Si Einstein a démontré que la Terre ne tourne pas autour du soleil de manière , ou bien seulement du point de vue de notre référentiel newtonien d'espace absolu, c'est dans ce référentiel qu'il peut prouver la théorie de la relativité. Sans ancrage scientifique ou mathématique aucune théorie n'est possible et il
L'espace newtonien absolu est revendiqué comme vrai car il est nécessaire. Ni nous ni les sciences ne peuvent rester sans référentiel, sans point de vue à adopter ne serait ce même pour prouver la relativité de toute théorie. Si nous abdiquons devant les paradoxes plus rien n'a de poids (au sens littéral et figuré) tout devient alors flottant, égaré, sans prise aucune.
Aucune relativité ne peut être prouvée tant qu'aucune subjectivité n'est adoptée. C'est d'abord le Je qui qui permet l'altérité, le Tu au sens lévinassien du terme. Le fait est à replacer dans un contexte, une perspective, un référentiel pour être étudié du point de vue de ce référentiel, quitte à le remettre (ou pas) en question. Ce n'est pas la route qui traverse la poule mais bien la poule qui traverse la route car la poule sont à replacer dans leur référentiel, en prenant de la hauteur sur la scène et en la mettant en perspective. La subjectivité relative est essentielle pour pouvoir prétendre s'approcher de l'objectivité
Le fait est que c'est un 6 car le chiffre est à replacer dans son contexte constitué de la multitude de faits qui tendent à prouver que c'est un 6 et non un 9. Le sens de la page, la direction du bureau, la langue des livres alentour et tout ce qui constitue une image globale que nous pouvons considérer avec plus de hauteur qu'en restant au niveau d'observation de l'élément étudié.
Considérer qu'à partir d'une certaine pigmentation ce violet sera bleu et celui ci sera rouge. Ce n'est ni absolu ni parfait et la limite entre violet et bleu et violet et rouge pourra être sujet de débat et un équilibre à trouver. Tout comme la limite entre liberté d'expression et respect de la vie privée est une frontière non figée à reconsidérer constamment.
De même en mathématiques le carré de tout nombre est obligatoirement positif et la racine carrée d'un nombre négatif n'existe tout simplement pas. Pourtant en créant les "nombres complexes" la racine carrée de i est négative. i2=-1 . Cette approche n'a pas de valeur dans le "réel" c’est-à-dire d'u point de vue de l'observation empirique. Pourtant elle "est" dans le monde des nombres dits imaginaires et peut même aider les mathématiciens dans le monde des nombres "réels". Gottfried Leibniz écrit à ce sujet: "L'Esprit divin s'est manifesté d'une façon sublime dans cette merveille de l'analyse, ce prodige d'un monde idéal, cet intermédiaire entre l'être et le non-être, que nous appelons la racine imaginaire de l'unité négative. '' La transcendance, de laquelle l'observation empirique s'est opposée a ici valeur de coexistence du paradoxe . La restauration d'une vérité transcendante et contemplative, qui ne serait pas le produit de la construction n'est pas un retour à une observation empirique mais une humilité intellectuelle qui a le courage d'observer de haut les paradoxes et de les intégrer dans sa construction vers la vérité.

 

 

2/ Un devoir éthique nécessaire socialement et politiquement
Il s'agit également d'une nécessité éthique du point de vue social et politique: Comme nous l'avons vu précédemment le relativisme sceptique conduit à une dissolution de la vérité . Tout est vrai, et ainsi plus rien n'est vrai.
La philosophe Hannah Arendt met en garde le danger politique auquel cela peut conduire:
« Quand tout le monde vous ment en permanence, le résultat n’est pas que vous croyez ces mensonges, mais que plus personne ne croit plus rien. Un peuple qui ne peut plus rien croire ne peut se faire une opinion. Il est privé non seulement de sa capacité d’agir mais aussi de sa capacité de penser et de juger. Et avec un tel peuple, vous pouvez faire ce qu’il vous plaît. »
"Rendre le quotidien flou" , " déconstruire la réalité " et "discréditer ceux dont le rôle est d’informer " permet de « reconstruire l’histoire ». Ainsi selon l'historien Johann Chapoutot dans son livre "la révolution culturelle nazie" rappelle que les allemands du IIIème Reich, fervents admirateurs de la pensée grecque antique (en particulier Socrate et Platon) s'appropriaient (en les transformant) la pensée philosophique jusqu'à réécrire les faits, qui était nous l'avons vu précédemment l'une des dérives auxquelles l'empirisme pouvait mener. Les négationnistes d'aujourd'hui utilisent également le relativisme pour convaincre que l'Histoire, en particulier la Shoah, n'aurait pas existé ou n'aurait pas été ce qu'elle a été.
Le relativisme conduit à une liberté absolue, à un laisser dire laisser faire" au détriment d'autres valeurs. Non toutes les opinions ne se valent pas, certaines opinions racistes, sexistes, discriminatoires n'ont pas de légitimité d'être. Pour se faire il convient de les replacer dans un référentiel, une société, une histoire c’est-à-dire de restaurer un enseignement du passé non acquis par l'expérience empirique et la construction. Ll est donc également nécessaire du point de vue éthique de trouver un équilibre et d'établir les faits en leur donnant du poids, une valeur, en les enseignant c’est-à-dire en réintégrant la transmission.
Cet urgence à établir les faits est également une nécessité éthique du point de vue social. Si tout se vaut et qu'ainsi plus rien n'a de valeur alors nous perdons le principe de responsabilité.
L'abdication devant la multitude des vérités personnelles conduit à ce que tout soit compréhensible, excusable et à terme au fatalisme non plus religieux mais sceptique. Untel a violé sa femme mais il a eu une enfance difficile et le condamner détruirait sa vie et sa carrière. Ainsi si la vérité de sa femme est recevable la sienne le serait tout autant. De plus la notion de viol conjugal ,n'apparaît qu'en 1990. Pourtant le fait était le même mais n'était pas reconnu comme tel, autrement dit tant qu'un fait n'est pas établi, reconnu celui-çi n'a pas de valeur. C'est l'établissement des faits qui permet de donner droit devoirs et donc poids aux valeurs d'une société.

3) Enfin il s'agit d'un devoir philosophique.
Si la philosophie reste dans le domaine abstrait elle perd sa raison d'être. Foucault explique le "problème du réel" pour Platon dans la lettre VI: imaginer la cité idéale n'avait de sens pour le sage grec s’il refusait, du moins s'il n'essayait pas, par une action concrète, de rendre effective cette cité dans le monde réel, de retranscrire son logos par des actes. Et c'est pourquoi il voulait convertir à sa philosophie le tyran Denys le Jeune. Laisser le logos à son aspect abstrait eût été vécu par Platon comme une lâcheté intellectuelle personnelle et comme un échec du but de la philosophie, celle çi perdant sa raison d'être en restant contemplative au lieu de devenir "contempl-active". Nous pouvons certes affirmer que toute vérité est relative, et philosophiquement parlant cette théorie peut être audible. Mais ce scepticisme où tout devient neutre à défaut d'être absolu n'est pas viable dans la réalité sans payer le prix d'une lâcheté intellectuelle. nous vivons dans un mode réel où, au contraire du monde du logos les mots et les actes ont de la valeur. Quand bien même nous pourrions établir théoriquement qu'aucun référentiel n'est plus vrai qu'un autre, le monde réel fait fi de cette conception élitiste et fonctionne selon un certain référentiel, nous met face à des situations face à lesquelles nous devons prendre une décision. Le but de la philosophie pour Platon (et plus tard pour Foucault) est justement de se confronter à la subjectivité du réel et non de fuir dans le logos par lâcheté perfectionniste.
"Philosopher c'est oser dire" , et non se contenter de penser rappelle F. Jullien, spécialiste de la pensée grecque et asiatique: "Philosopher c'est parler. Et parler, c'est dire. Il n'y a pas de philosophie silencieuse . « Le sage affronte l'exigence de parler pour dire quelque chose ». La neutralité n'est pas une option en philosophie. Au contraire elle doit se confronter au réel en lui étant intégrée, en portant haut son verbe. Comme le rappel Elie Wiesel « Il faut toujours savoir prendre parti. La neutralité préserve l’oppresseur, jamais la victime ? Le silence encourage celui qui tourmente, jamais celui qui subit ».
Très bien mais comment le dire ? Quoi dire quand il faut choisir entre une multitude de vérités et la simplification ?

6) Le courage de l’imperfection
Puisque la neutralité n’est qu’une (lâche) illusion, il convient donc d’établir des faits, aussi impar-faits puissent ils être.Il s’agit de trouver un équilibre entre l’empirisme et l’humilité intellectuelle face à l’altérité, au passé, et aux paradoxes. Il convient non pas de fixer une observation empirique comme seule réalité mais d’être « attentif au réel » pour reprendre les termes d’E, Amado Lévy- Valensi. Considérer la vérité comme inatteignable et pourtant continuer de se hisser vers elle, telle une asymptote verticale. Voire dans une vision multi dimensionnelle, qui n’a donc pas la prétention de rejeter d’autres points de vue ou son passé, combiner la multitude de fonctions exponentielles pour avoir une idée de la vérité et de son référentiel.
en établissant les faits quoi-qu’imparfaits, en ayant le courage de l'imperfection face aux paradoxes et l'humilité à ce qui précède. Si le chemin vers la vérité a la forme mathématique d’ une asymptote verticale, c’est à dire tendant vers l’infini sans jamais l’atteindre, et ne pourra donc jamais être absolue il est nécessaire de poser . Dans une réalité mouvante il est nécessaire de donner du poids à des valeurs sans que celles çi ne soient écrasantes. En d’autres termes il convient de renoncer au perfectionnisme et à l’absolu du relativisme sceptique en établissant des normes, des limites, en prenant parti c’est à dire en établissant des faits et pas d’autres, tout en ayant le courage de l’humilité face au passé et ses écueils, et pourquoi pas à la transcendance : le paradoxe n’est pas obligatoirement signe de fausseté absolue mais peut être des limites de notre propre référentiel des nombres ou des faits dits « réels », c’est à dire observables.

 


Conclusion:
Les faits sont l'expression d'une réalité objective. Ils existent indépendamment d’être reconnus ou non. Il est nécessaire de choisir lesquels établir c’est-à-dire de choisir auxquels on donne de la valeur.
Si la modernité opposait un triple refus à ce qui la précédait, en particulier à la transcendance, en ne se fiant qu’à elle même pour établir ses normes, et ce au risque de tomber dans l’écueil idéologique, le postmodernisme qui lui succède rend flottante et incertaine toute vérité qui n'est pas absolue et tend à conduire à abdiquer devant les paradoxes. Pourtant l’établissement des faits et par là de valeurs est une nécessité, physique, éthique et philosophique. La subjectivité est essentielle pour pouvoir prétendre s'approcher de l'objectivité à défaut de ne pouvoir jamais l'atteindre mais elle doit reconnaître l’existence d’autre subjectivités,
Il s’agit de trouver un juste milieu, dans un référentiel imparfait mais nécessaire, le courage de préférer les paradoxes aux demi-vérités, celui d'affronter la contradiction par laquelle naît l’altérité et de là un chemin vers l’objectivité. Trouver comment exister, à côté, en prenant de la hauteur. Non pas exister contre comme le proposait l’empirisme enfermé dans la normativité qu’il s’est lui même créé, Ni de disparaître face à l’altérité comme le perfectionnisme du relativisme du « Tout ou Rien » pouvait conduire. Mais, utiliser la subjectivité la sienne et celle de l’Autre comme moyens de Vérité, s’élever du seul observable tout en y « restant attentif » en utilisant les paradoxes comme des outils pour ne pas démissionner du réel et ainsi établir dire et clamer, remplir ce devoir humain d’établir les faits qui se doivent l’être en les replaçant dans un référentiel physique, éthique, temporel et culturel.

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