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Frumette à cheveux longs et idées courtes
16 avril 2019

Je vous prie, Notre Dame, de croire en l'expresSion de mes très sincères condoléances.

notre_dame_chagall

C'est vraiment bizarre.  Lorsque j'ai appris l'incendur de la cathédrale je m'attendais à voir la cathédrale brûler de loin et me dire “c'est bien dommage pour Votre D(r)ame , mais heureusement pas de pertes humaines, ça me rappelle Quasimodo et Victor Hugo, pas davantage”. Et pourtant, je suis touchée, et surprise d'être émue.
Certes ce n’est pas le même sentiment que lorsqu’il y a un attentat en Israël, mon pays et amour de ma vie. Là je suis touchée à vif, ce sont des vies humaines et surtout les âmes de mes frères et sœurs, ma chair et chère terre. Chaque victime c’est moi, chaque victime c’est mon insupportable et bien aimé chauffeur , c’est ma banquière, ce sont les petits frères de mes amis que j'ai vu grandir et revêtissent l'uniforme de Tsahal, c’est mon arrêt de tram du matin, c'est la voisine qui me prend en stop.
Malgré tout pour une cathédrale de France, un monument de Pierre, une église, je suis touchée. Sacrebleu, Sacré Coeur, je ne comprends pas l’illogisme de l'émotion. Aucun mort, rien, pas même un blessé; pas de Cosette à transformer en symbole, pour avoir au moins l'excuse de cristalliser les larmes. Certes , Notre Dame, c'était le personnage principal du livre d'Hugo, (d’ailleurs le seul personnage féminin du roman dont je n'ai pas trouvé que la consistante, la chair n'a pas été négligée par l'auteur). 
Et puis bon un monument cela se reconstruit. D'ailleurs cela a déjà commencé. Notre Dame peut rougir d'avoir récolté en quelques heures plus de dons que ce que tous Les Misérables n’obtiendront jamais. Les miracles n’ac(Cour)ent pas si vite pour les Jean Valjean de Paris.
Je suis trop loin, depuis trop longtemps pour m'identifier aux drames individuels qui brûlent la France. Je suis Juive et je vis en Israël depuis presque 12 ans. Je ne connais Paris qu’en chanson. Et comble des combles de Notre Dame je ne peux pas y rentrer dans cette Eglise, puisque s'y trouvent des statues que la Loi Juive tient au rang d'idoles, certaines de ces statues représentant d'ailleurs le judaïsme aveugle et déchu de la vérité, près d'un christianisme beau et triomphant. Alors quoi? Si ce n'est ni pour l'amour de l'art ou de l'histoire, ni pour l'Eglise, ni Paris, ni par attachement ni par souvenir personnel, ni pour Disney ni pour Victor Hugo.

Je crois que c'est ma part de France qui est touchée. J'ai toutes les peines de France à me raccrocher à cette part de moi que je ne veux pas oublier pourtant.
J'ai dépassé le péché de jeunesse des premiers temps de l'alya, où souhaitant devenir une vraie israélienne je concentrais alors mes forces à construire ma nouvelle identité sans me plaindre des difficultés d’immigration. Chacun chacune de nous est un petit pays d’Israel qui grandit et je suivais  à l’échelle individuelle, le cheminement que le pays a parcouru à ses débuts quand, au temps d’Eliezer Ben Yehouda et des shorts des kiboutzim , il était interdit de parler, penser ou vivre autre chose que l’hébreu miraculeusement ressuscité en chacun. Mais aujourd'hui celui çi a presque 71 ans, mon alya va fêter sa bat mitzvah, je suis assez sûre de mon identité israélienne pour qu'elle ne se sente pas menacée par mon accent (français). Et si je suis fière, je suis aussi un peu triste que les touristes français trouvent que j’ai un accent (israélien cette fois) dans la langue de Molière et ne me croient pas lorsque je leur dis que moi aussi je viens de France car je paraît il parle, m'habille et même "bouge comme une israélienne". Comme si j'avais perdu de ma langue maternelle et de mon identité. Alors je cherche au fond des notes d'Edith Piaf l'adolescente de 15 ans que j'ai laissée en France .
J’essaie de rattacher sans le tâcher ce qu’il me reste de France, de découvrir, de lire, et d’aimer ce pays que j’ai quitté, non par rejet de lui mais par amour d’un autre pays. 
Mais voilà plus je montre ma bonne (et sincère) volonté de m’en rapprocher et de l’aimer cette France et plus je réalise que la culture, les coutumes me sont étrangères. Pire, que cette France me rejette moi et mes différences, (se serait elle vexée cette vieille dame à cheval sur ses conventions?) si je ne me plie pas à des codes sociaux incompréhensibles que je trouve d'ailleurs particulièrement inutiles et ridicules. La France attend que l'on parle Français même à l'étranger, la France attend que l’on mange à midi pétante devant le journal télévisé de PPDA, la France attend qu'on fasse la bise par politesse mais qu'on vouvoie, la France refuse ma Magen David si elle est trop grosse, etc. Certes ce sont des clichés. Mais ils comptent car dans cela on est mal vue. Et moi je tutoie mais je base la bise. Je n'ai pas envie d'écrire en bas de mon mail des prières d’accepter des sincères salutations qui n'ont rien de sincère. Les saluts à Sion s’insèrent aussi, cela va dans le 2 sens je crois. J’ai déjà la délicatesse de supporter cette courtoisie qui toise court les différences. Et en Israël on connait le prénom de son banquier mais pas le nom de famille de ses profs. J'ai beau faire des efforts pour franchir le pont culturel je suis congédiée si ô sacrilège je critique la psychanabise et les "vous désirez?" . Oui je désire, pour être Franc(h)e de ne pas être jugée pour ces manières (ou leur absence) quand je cherche à établir le dialogue avec mon pays natal. .
Alors pour toucher ce qu'il reste de mon identité française ce n'est plus par l'individuel, l’événement ou le détail. Trop loin. C'est fini. Je retrouve goût à cette France au fond de moi par le judaïsme d'après guerre, André Neher, Eliane Amado Lévy-Valensi, Levinas, mon grand oncle Adam Loss, je retrouve goût à cette France au fond de moi aussi par une certaine jeunesse éclairée et motivée. Je retrouve goût à cette France au fond de moi ainsi que l’espoir dans le judaïsme français que je croyais enterré par le dogmatisme.
Peut être que si j’eus habité en France j’aurais été assez près pour ne pas être touchée par l’incendie de Notre Dame. Mais la distance culturelle fait que je ne puis me rattacher à la France que par ses symboles, que je la cherche dans toutes ces images clichés qui me tombent dessus quand mon accent est un peu trop fort pour les nés Israéliens. (“Ah mé toué françaize?! comen sava? Less moi témé touté nounoui”.
Alors oui douce France cher pays de mon enfance, laisse moi donc t’aimer!  C'est quoi la France ? C'est Amélie Poulain? C'est le vrai fromage qui pue l’authenticité? C'est le dimanche et les vacances, et l'accordéon dans les rues, et l'élittérature, le salon de Noël, le Louvre, le "bonjour mademoiselle" , la Liberté guidant le peuple vers peut-être moins d'égalité, Zola, le chocolats,  le style et  "classe française" qu'on m'attribue (davantage grâce à mon accent que grâce mes habits si vous voulez mon avis mais c’est déjà ça), la Résistance, ne m’appelez plus jamais France car la France elle m’a laissée tomber, les vaches laitières sur des hectares, Coluche, les manifestations, l'Amour enflammé avec le A qui ressemble à la Tour Eiffel, la baguette à midi, les droits de l'homme et les devoirs de la femme, *la vie en Rose ", le bon vin auquel je ne comprends rien, Jacques Brel, les Mac(a)ron, les parfums de luxe que je suis fière de mieux prononcer que la vendeuse israélienne de Superpharm, Louis XIV et de Funès . Et Notre Dame.
Notre Dame qui brûle et c'est la part de ma France que j'essaie tant bien que mal de préserver malgré elle et parfois malgré moi, qui d'un coup se réveille. C'est quelque chose de plus grand, plus large que Dolto, que les journaux télévisés et ces codes de politesse inutiles, c'est ma part de France, ce qu'il en reste, c'est un Paris que je ne connais pas et que j'essaie de rattacher à ma Jérusalem d'or.
Et bizarrement j'ai entendu cette part de moi qui s'est mise à gueuler quand Notre Dame a brûlé. Je me suis demandé d'où venait ce vacarme vu que la vieille dame (ai)grise était sourde à mes dernières tentatives de dialogue.
Et la France s’est souvenue qu'elle était Notre Dame à tous et toutes, la Dame de tous les Français même de ceux qui
l'oublient parfois, et Ma Dame, à moi aussi.
Je vous prie de croire Madame, Notre Dame, en l'expresSion de mes très sincères condoléances.
image: Marc Chagall
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